Benoît Duteurtre, Les pieds dans l’eau, Philippe de Saint Robert, Le Figaro, 28 août 2008

Le temps perdu des grandes familles

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Il y a, dans les livres de Benoît Duteurtre, une drôlerie et un charme qui n’appartiennent qu’à lui. Chroniqueur satirique de tous les travers de notre époque où le laxisme collectif se double d’innombrables restrictions à la vie privée (à cet égard, La Petite Fille et la Cigarette fut un chef-d’œuvre du genre), Benoît Duteurtre, en évoquant ce que fut une « famille présidentielle » au temps de son arrière-grand-père René Coty, se projette, et nous projette, en une actualité indirecte et réjouissante autant qu’affligeante.

Pourquoi Les Pieds dans l’eau ? Parce que la famille Coty était profondément liée à Étretat et au Havre. La philosophie de Benoît Duteurtre va s’éclairer tout au long de ce récit : « Vous cherchez à percer les mystères de la vie et de la mort ? Installez-vous de longs après-midi sur une plage et tâchez d’éprouver la densité de chaque instant. Vous rêvez de devenir artiste, ou savant ? Étudiez l’éclairage vert fugace dans le creux d’une vague, au moment où elle se retourne et va s’écraser sur les galets. L’histoire et la société vous passionnent ? Revenez chaque été sur le même rivage ; observez les changements et les évolutions ; au besoin imitez les comportements pour mieux les comprendre. »

Voilà qui est très fort car, à vrai dire, nous n’imaginions pas Benoît Duteurtre à ce point enraciné dans les rivages affectifs de la Manche, non plus que dans la famille d’apparence si conformiste du président Coty cet homme qui, en un moment crucial, sut reconnaître où était la vraie légitimité de la France. Car la famille Coty n’est conformiste qu’en apparence : en fait, chacune des filles du président, puis des petites-filles dénommées « les cousines », garde, sans se laisser tourner la tête par les paillettes du pouvoir, sa personnalité propre. Que croyez-vous ? « Venues au monde à intervalles rapprochés dans les années trente, les neuf petites-filles du président Coty formaient un groupe très uni. (…) À l’exemple de leurs mères, elles avaient étudié pour devenir des femmes modernes… sans négliger le principal objectif de leur existence : se marier et fonder un foyer. (…) Dans cet ordre sans taches, leur grand-père représentait la figure tutélaire. »

Quid du jeune Benoît, avec son don inné de la description et du portrait, dans cette lignée tracée ? « Un jour, sur la côte du pays de Caux, ce dialogue symbolique entre l’enfant et l’univers a pris la forme d’un affrontement plus brutal entre l’adulte infantile et la mer exaspérée. » On s’en serait douté, mais il n’y a pas de ces ruptures vulgaires qui feignent une fausse personnalité. Benoît Duteurtre admire cette aptitude des siens à rester unis, « dans l’amour comme dans le ressentiment. (…) Cinquante années de mariage plus ou moins arrangé, un demi-siècle d’habitudes ne constituaient-ils pas une performance plus intéressante qu’un divorce au premier accroc ? Cette convention qui les unissait, pour le meilleur et pour le pire, ne marquait-elle pas un moment de civilisation aussi élevé que notre exaltation de l’amour sincère, jetable à volonté, finissant sur le divan d’un psychanalyste ? »

Le tableau que nous dresse Benoît Duteurtre de cette époque révolue, dont il ne cache pas la nostalgie, jette en effet sur la nôtre un éclairage qui en souligne la dérision et l’aléatoire. Les souvenirs les plus beaux finissent par la trahison de ceux qui les détiennent : la cousine Laurence, après avoir affublé La Ramée, magnifique villa héritée du président Coty, de fenêtres en PVC, décide de la vendre à la mort de son mari. Nul de la famille ne fait un geste pour la conserver. C’est toujours ainsi que finissent les grandes familles.

Philippe de Saint Robert

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