Benoît Duteurtre, Livre pour adultes, Christian Baillon-Passe , Petites affiches, 10 novembre 2016

Benoît Duteurtre, Livre pour adultes, Christian Baillon-Passe , Petites affiches, 10 novembre 2016Qu’est ce qu’un « livre pour adultes » ?

 

C’est le titre du dernier roman de Benoît Duteurtre, son douzième livre chez Gallimard. Il y parle de l’âge des adultes, le nôtre, celui que l’on a, celui que l’on aura un jour puisque la naissance, née de l’obsession de procréer, ce « crime », dixit le narrateur, nous y condamne Comment, alors, passer cet âge de la manière la plus heureuse ?
Livre pour adultes, c’est le temps qui est passé et qui passe. Et d’un monde qui, avec, s’efface. A défaut de l’empêcher d’être ainsi, peut-on le réinventer ? Le thème n’est pas neuf, il est pourtant remarquablement mis en scène et en mots à travers des histoires où se lient les épisodes de fiction et la vraie vie de l’auteur. Benoît Duteurtre s’y dévoile intime mais sans aucune impudeur : il narre tendrement sa mère frappée d’Alzheimer, la maison de retraite (la description et l’analyse de l’institution sont très justes), son ami Victor, l’amour des Vosges, sa nostalgie d’un monde qui disparaît en même temps ou plus vite que nous, ses irritations et ses emportements (contre l’écologie aseptisée qui se substitue à une écologie naturelle, contre l’empire des marques), jusqu’à un décryptage politique des croisières fluviales dans un marrant et bien vu « la lutte des classes sur le beau Danube vert ». Tricotant entre fiction et réalité (le joueur de saxophone que subit l’avocat dans le Fou de Musique – chapitre excellent dont on ne dévoilera pas la chute – n’est pas très loin du Bandit des Carpates que subit le narrateur/auteur (?) sous ses propres fenêtres), Duteurtre, l’étonnant Benoît, n’a jamais caché un tempérament nostalgique. On se souvient dernièrement du vibrant hommage, à la hauteur des regrets que nous partageons avec lui, rendu aux buffets de gares, aux trains-couchettes et aux compartiments des anciennes voitures de la SNCF. Être nostalgique n’est pas déprimant. Benoît Duteurtre comme ses personnages savent comment faire pour s’accommoder d’un monde qui ne leur plaît pas, et comment passer de l’âge adulte à la mort dont on ne s’étonnera pas qu’elle occupe une grande place dans ce livre. Ainsi de la liste des plaisirs, du bonheur simple comme celui de la tartine du matin, de la nécessité de la musique (ainsi de l’écoute de Bacchus et Ariane d’Albert Roussel, grâce à lui découvert, son livre ayant ainsi déjà produit quelques effets concrets immédiats). de l’amitié avec Victor, du spectacle des paysages vosgiens, et de la capacité à vivre un « enchantement perpétuel ».
Livre pour adultes est le livre grave et doux qu’on aurait aimé savoir tous écrire. Face aux doutes du lendemain, pour apprivoiser si possible la souffrance de la disparition, celles des proches et la nôtre, preuve est ici faite que c’est l’art du roman, mieux que les traités de psychologie et autres livres de prétendues recettes de vie, qui peut nous préparer à l’épreuve.

Christian Baillon-Passe

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