« La fin du bisou » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1275 du 20 au 26 août 2021

Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE

LA FIN DU BISOU

Le fait d’être allongé devant la mer, au mois d’août, ne m’empêche pas de me livrer à de très sérieuses observations, qui s’ajoutent à celles qui m’occupent tout au long de l’année. Après m’être intéressé aux caractéristiques des différents groupes de baigneurs (touristes chinois, familles maghrébines ou vieux habitués…) puis à cet irrésistible instinct qui pousse les enfants à jeter devant eux des galets que la mer se charge de remonter, je me suis donc penché plus particulièrement cet été – Covid oblige – sur l’évolution des salutations, bisous et étreintes diverses en période de pandémie. Dans la station où je séjourne, les habitués se retrouvent en effet au fil de l’été, les enfants rejoignant les parents, les amis réapparaissant après le 15 août pour finir les vacances en Normandie après avoir goûté l’air du Midi… Pour les uns comme pour les autres, ces retrouvailles à l’heure du bain se traduisent par toute une gamme d’attitudes relatives au virus, à sa transmission et à l’éventuelle efficacité du vaccin.

J’ai notamment observé ces différentes scènes, reportées avec précision dans mes carnets:

– les deux types qui se lèvent et s’approchent l’un de l’autre avec un sourire amical, puis se tapent spontanément le poing ou le coude avec le même naturel que les adolescents se frappent la main, comme si ce geste était désormais entré dans les meurs;

– celui (ou celle) qui s’avance pour vous étreindre… mais auquel on répond par une habile esquive en rappelant (toujours avec un bon sourire): « Gestes barrières!»;

– la personne, au contraire, qui se laisse étreindre plus ou moins volontairement tandis que son embrasseur précise sur le ton de l’évidence: «Nous sommes tous deux vaccinés, non ?»;

– la simple poignée de main tendant à signifier qu’on peut de nouveau privilégier ce geste simple et peu contagieux (quitte à se désinfecter ensuite discrètement grâce à une fiole de gel emportée pour l’occasion);

– le petit salut à distance, d’une déférence tout asiatique (J’ai plus rarement observé le recours au charmant salut arabe, la main sur le cour).

De ces observations, je tire la conclusion que l’espèce humaine, un an et demi après la première vague, en a fini avec la distanciation terrorisée qui prévalait encore l’an dernier malgré le relâchement estival. Même les sauveteurs de la plage qui, en août 2020, veillaient au port du masque, tendent cette année à baisser le leur (pour le transformer en « couche à menton », selon l’expression de la série « South Park »). On en a marre; on aimerait que ça finisse, mais on reste prudents; le variant circule mais guère en plein air; on est vaccinés, mais on ne sait pas jusqu’où cela nous protège: le flou des connaissances explique la diversité des comportements.

J’observe toutefois pour conclure – et cela n’engage que moi – que le Covid nous a délivrés de la pénible «bise », doublée ou triplée, qui s’est imposée en France depuis plusieurs décennies comme entrée en matière obligatoire de toute relation. À peine connaissait-on une personne que ses joues et ses lèvres s’avançaient vers notre figure. Cette pratique, répandue entre individus de sexe opposé, devenait systématique entre artistes, toujours prêts à s’étreindre dans une exhibition d’amitié plus ou moins artificielle. La tendance avait empiré avec ce hug américain propagé par les films et les séries télé, dans lesquels les amis passent leur temps à se serrer dans la joie comme dans l’épreuve avec une empathie inspirée par la psychologie de groupe… mais en évitant tout geste ambigu. S’ils savaient comme tout cela peut être désagréable à ceux qui entendent maintenir une distance courtoise dans les relations humaines! Ces derniers étaient d’ailleurs facilement reconnaissables à leur façon de vous embrasser de loin, avec une froideur frisant le dégoût. Aujourd’hui les voilà débarrassés du hug et du bisou, dont ils peuvent s’affranchir sous des prétextes sanitaires, et je ne suis pas loin d’y voir un progrès…

Sur ce, je vous laisse pour aller mettre les pieds dans l’eau, dont on m’annonce qu’elle vient de franchir, pour la première fois de l’été, la barre des 18°C..

Carte blanche précédente : « Terreur au conservatoire » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1273 du 6 au 12 août 2021

Carte blanche suivante : « Music-Hall au Panthéon » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1277 du 3 au 9 septembre 2021

Une réflexion sur “« La fin du bisou » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1275 du 20 au 26 août 2021”

  1. Le « bisou », ce truc de filles d’avant les années 20 (du 3éme millénaire) sera difficile à appréhender pour les historiens du futur aux 326 vaccins de naissance obligatoire, qui seront chagrinés d’apprendre qu’ils sont les descendants d’ancêtres anti-vaccins.

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