Ma belle époque et La Cité heureuse de Benoît Duteurtre, Philippe Lacoche, Le Figaro, 27 septembre 2007 

La ville dont le prince est un capitaliste 

BENOÎT DUTEURTRE Cette fable allègre est une charge contre les excès d’une époque menée par l’argent.

FAUT-IL s’imprégner de Ma belle époque, recueil de chroniques de Benoît Duteurtre, avant de s’attaquer à son roman La Cité heureuse ? Une chose est certaine : il faut les lire l’un après l’autre, tant ces articles qu’il a donnés à différents journaux éclairent l’oeuvre du romancier.
Il y exprime ses goûts (Marcel Aymé, Sempé, Pina Bausch, de Funès, etc.) et ses dégoûts (la course à une ridicule modernité, les avant-gardes absconses, etc.). Comme Houellebecq (et ce ne sont pas là leurs seuls points communs), il dénonce les dérives de la société libérale – capitalistique, plutôt -, ce qui le porte souvent à ridiculiser l’époque (rien ne l’agace plus que l’expression : « Il faut être de son temps »), donc à être nostalgique. Comme Houellebecq, Duteurtre est bêtement taxé de réaction. Il a l’élégance d’en rire.
Son roman, La Cité heureuse, a pour cadre Town Park, une ville privatisée construite dans le centre historique d’une capitale de la vieille Europe. La Compagnie, un groupe de loisirs, a racheté les maisons, les squares, les édifices et monuments. Les habitants, appâtés par des réductions consenties sur leurs loyers, sont contraints de porter des costumes d’époque pour interpréter des personnages du « temps jadis » : musiciens de rues, peintres impressionnistes, femmes à ombrelles, etc. « Pour la première fois dans l’histoire, une entreprise multinationale s’apprêtait à racheter, sinon une ville, du moins un quartier entier avec ses voies, ses monuments, ses immeubles… et sa population », dans le but de bâtir un grand spectacle touristique permanent. Les clients, armés d’appareils photo, affluent.
Écrivain, le narrateur refuse d’abord de « jouer le jeu ». Mais devant les flatteries du vice-président de la Compagnie, il cède aux avances financières, écrit des scénarios pour la télévision locale et devient un figurant de Town Park : « Coiffé de mon chapeau de canotier, affublé de ce pantalon à rayures et de cette veste confortable, une fleur blanche à la boutonnière, je ressemblais furieusement à Marcel Proust. »



La Compagnie règne


Le narrateur sert de bonne conscience à la multinationale. Il vit confortablement dans un cocon où l’administration municipale et le gouvernement n’ont plus aucun poids ; la Compagnie règne. Mais bientôt, tout bascule. Town Park devient moins rentable. Les avantages octroyés à la population se réduisent ; le personnel est remplacé par une main-d’oeuvre sous-payée issue de pays en voie de développement. Les scénarios du narrateur commencent à agacer. Les dirigeants considèrent maintenant que l’écrivain ne taquine plus mais humilie. On harcèle pour se débarrasser plus vite de l’affaire défaillante. Le capitalisme moderne dans toute sa splendeur. Cette fable rondement menée, finement écrite, n’est rien d’autre qu’un violent coup de pied contre l’ultralibéralisme. Bien plus efficace que bon nombre d’essais sur le sujet.

Philippe Lacoche 

 

La Cité heureuse de Benoît Duteurtre Fayard, 282 p., 18 eur . Ma belle époque de Benoît Duteurtre Bartillat, 289 p., 20 eur .

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