« Terreur au conservatoire » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1273 du 6 au 12 août 2021

Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE

TERREUR AU CONSERVATOIRE

A l’ère des acronymes, on dit CNSMP, pour Conservatoire national supérieur de musique de Paris. Autrefois, on disait simplement le Conservatoire pour désigner la première école musicale française, célèbre pour ses élèves, ses professeurs et ses directeurs, qui furent presque tous d’éminents compositeurs: tels Auber, Fauré, Delvincourt, Gallois-Montbrun… Cette glorieuse histoire n’a pas empêché, en 2020, le ministre Franck Riester de nommer à la tête de l’établissement une administratrice formée à la « gestion des institutions culturelles ». Dépourvue de l’aura de ses prédécesseurs, Émilie Delorme avait certes montré sa connaissance de la musique et ses talents d’organisatrice en dirigeant l’académie d’été du festival d’Aix-en-Provence. Peut-être aussi était-il important de nommer une femme. Mais sa désignation a traduit surtout l’inéluctable montée des gestionnaires substitués aux artistes qui assuraient traditionnellement la direction des orchestres, Opéras ou conservatoires.

Dans le cas d’Émilie Delorme, ce manque de légitimité s’est vu toutefois compensé par son ardeur à lancer de nouveaux combats. Après la nomination de cette directrice – qui promeut l’écriture inclusive et dénonce le « racisme d’État » -, on a vu les affiches de concert remplacées sur certains murs par des appels à la vigilance, annonçant le lancement d’une chasse aux dérapages sexistes et comportements inappropriés.

Conformément aux directives du ministère de la Culture (toujours le piteux Riester), le Conservatoire s’est doté d’un véritable système de dénonciation mis en place par la société privée Egaé: une boîte mail anonyme invitant les jeunes virtuoses à épier et signaler les moindres égarements, notamment ceux de leurs professeurs. La pêche fut maigre jusqu’à ce que, enfin, l’hiver dernier, un illustre enseignant de la maison – violoncelliste admiré tant pour ses talents artistiques que pour son engagement pédagogique – fasse l’objet de vagues allégations selon lesquelles il aurait un peu trop serré un élève en lui montrant comment tenir son instrument, ou se serait livré à une contrepèterie douteuse… Que du flou, du minuscule, et pas la moindre plainte déposée.

C’en était trop cependant pour la direction, qui, trouvant enfin une proie, a suspendu ledit professeur. Rien n’y a fait, pas même les protestations des étudiants clamant leur admiration et s’indignant de découvrir leurs propos déformés par l’enquête interne: on y voit la fascination artistique pour leur maître assimilée à une « emprise », et une soirée entre le violoncelliste et ses étudiants présentée comme un dîner en tête à tête!

Mais il y a plus invraisemblable encore: car le cabinet Egaé n’est autre que l’entreprise de Caroline De Haas, qui, justement, appelle à traquer la « culture du viol ». Après avoir défini les objectifs, elle se charge d’établir les faits, via son officine de justice privée venue semer la terreur au sein d’une grande école. Les médias diffusent les rumeurs, quitte à salir par avance les présumés coupables. La Lettre du musicien et son directeur, Antoine Pecqueur, ont ainsi publié un lamentable dossier intitulé Le #MeToo de la musique classique -tendant à démonter une sorte de complot sexuel au sein du monde musical, où régnerait la fameuse « loi du silence ».

Les faits de sexisme ou d’agression sont pourtant soumis, chez les musiciens comme chez les autres, à la justice courante, chargée d’établir les faits et de les punir sur la base de plaintes réelles – sans qu’il soit nécessaire de transformer les institutions culturelles en services de police. Peggy Sastre, dans le Point, et Samuel Piquet, dans Marianne, ont publié de solides enquêtes qui mettent à mal les procédés du Conservatoire et du cabinet Egaé.

Le professeur, qui n’a fait l’objet d’aucune plainte, demeure pourtant convoqué le 2 septembre par sa direction en vue… d’un éventuel licenciement! Ironie du sort, Mme Delorme est devenue – du fait de ses fonctions au Conservatoire – présidente de la nouvelle Maison de la musique contemporaine. Le violoncelliste, lui, est un des grands interprètes de ladite musique contemporaine, qui lui doit de nombreuses créations. Au temps de la terreur sociétale, la musique est passée en de bien mauvaises mains, et on rêve de voir les artistes reprendre le dessus!

Carte blanche précédente : « Parlez-moi de la pluie » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1271 du 23 au 29 juillet 2021

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