Benoît Duteurtre, L’été 76, Baptiste Liger, Lire, avril 2011

Le plus bel âge

 

Avec L’été 76, Benoît Duteurtre se souvient de son adolescence, quand il jouait les rebelles amoureux de la création d’avant-garde et d’une belle Hélène. Portrait d’un antimoderne, mélancolique mais jamais passéiste.

Une des meilleures choses qui puissent arriver a un écrivain, c’est de rater un prix. Ou même deux. Certes en 2003, Benoît Duteurtre a reçu le Médicis pour Le voyage en France. « Mon plus gros succès en librairie, remarque-t-il, amusé. Et j ai eu l’honneur de voir trois des membres du jury quitter le déjeuner, indignés… » Pourtant, des années plus tard, l’auteur n a toujours pas été immunisé contre l’attribution de ces sucettes d honorabilité à d’autres que lui. En peu de temps, Duteurtre a en effet failli obtenir deux distinctions saluant un « auteur sympathique » et un « romancier obstiné ». Au-delà de la trahison de pseudo amis du jury (il faut toujours s’en méfier), il n’est jamais très agréable de voir, deux fois de suite, un chèque de dix mille euros, nets d’impôts, vous passer sous le nez. Terminés, les travaux dans la cuisine. Oublié, le virement sur le livret A. Mais, au fond pourquoi accorder tant d’importance a ces considérations matérielles ? Sont-elles, au fond, plus essentielles que l’odeur si agréable de la fougère dans la montagne ? Ou est passé l’adolescent idéaliste des années 1970 ? De ces quelques questions évoquées en préambule est né le nouveau roman (autobiographique) de Benoît Duteurtre, L’été 76 dans lequel il revient sur cette période enchantée et formatrice, quand il avait entre quatorze et dix-sept ans.

Les heureux lecteurs des Pieds dans l’eau se souviennent probablement de la jeunesse de ce garçon aux dents du bonheur – né en 1960 – dont le visage, désormais, semble refuser de dire son âge. Issu de la bourgeoisie normande, notre arrière petit fils du président René Coty évoque aujourd’hui sa passion
pour Led Zeppelin, Michaux ou Nietzsche, son rapport a l’avant-garde littéraire, artistique ou musicale, et son amour plus ou moins platonique pour la belle Hélène (amusant quand on sait que Duteurtre est devenu un spécialiste de l’opérette et d’Offenbach ). Oui contrairement à une idée reçue, Benoît Duteurtre a été un temps gauchiste – voire « anarchiste » -, avec des cheveux longs, et même hétérosexuel, loin de son image de « réactionnaire » qui lui colle a la peau depuis Gaieté parisienne ou Requiem pour une avant garde. « Pour moi, la modernité ne doit pas se transformer en conformisme. C’est l’insolence, l’esprit de contradiction. Aujourd’hui, je trouve tout de même extraordinaire qu’une certaine gauche soit arrivée à défendre l’état des choses et l’évolution du monde tel qu il va ». L’un des modèles de Duteurtre ?  Guy Debord. « Lui c’est un vrai révolutionnaire. Radical. » On cite alors d’autres francs tireurs de la bande de L’Atelier du roman ou des Lettres françaises chers à l’auteur mélomane comme Philippe Muray François Taillandier Dominique Noguez ou Michel Houellebecq. « II a marqué un tournant dans le roman français Je l’ai senti à l’étranger quand j’ai voyagé pour la promotion de mes propres traductions. Grâce a lui la littérature française est enfin sortie du carcan du Nouveau Roman pour universitaires un peu chiants et du folklore de Saint Germain-dés Prés. Je me souviens des venues de Michel chez moi, en Normandie On passait notre temps a regarder des films de De Funès a la télé »

La France décrite dans L’été 76, dans une écriture lumineuse, ressemble d’ailleurs un peu à celle, insouciante, de L’aile ou la cuisse – les considérations gastronomiques en moins -, preuve que ce roman ne doit pas être lu comme un simple recueil d’anecdotes sur les tendres années de Duteurtre et ses tracas pubertaires. « A l’inverse d’une Christine Angot, je ne suis pas du tout a la recherche de ma personne profonde – même si j ai envie de retrouver des sentiments, des sensations d’antan explique-t-il. J’envisage une autobiographie non narcissique, qui parle surtout du monde dans lequel j’ai grandi, a travers laquelle je cherche a comprendre un instant de l’Histoire. » Car L’été 76 – et sa célèbre canicule – représente un véritable basculement tant pour la vie du jeune homme d’alors que pour le pays du président Giscard. « On est a la frontière de deux moments de l’Histoire : la fin des Trente Glorieuses et le début de la grande crise qui continue. Si on considère que la mondialisation, le néoliberalisme la dégradation environnementale ou le retour des grandes épidémies constituent une forme de progrès, doit-on s’interdire de dire « c’était mieux avant »? » A se demander si finalement, Benoît Duteurtre n’est pas le plus progressiste des écrivains français…

Baptiste Liger

 

Passé relativement inaperçu en France La petite fille et la cigarette de Benoit Duteurtre a été traduit en dix huit langues ‘

L’été 76 par Benoît Duteurtre, 190 p Gallimard,
17,50€

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