Benoît Duteurtre, Chemins de fer, par Grégoire Gauchet, DNA, 19 septembre 2006

Chemins de fer

 

Florence, 50 ans, partage sa vie entre son agence de communication parisienne et le village de son enfance dans les hautes Vosges. Un grand écart, deux vies contradictoires que tout oppose et que relie le chemin de fer.

Le style Benoît Duteurtre rappelle, par son sens de l’ironie, la plume de Marcel Aymé.

A Paris, Florence est une professionnelle avisée qui organise des événements pour des clients importants. Dans les Vosges, elle redevient la petite fille attachée à son poêle à bois et aux neiges, ces neiges qui donnent l’illusion que rien n’a changé. Mais autour d’elle, la vallée rêve de prendre le train de la modernité. Des lignes de chemin de fer d’autrefois, il ne reste plus grand chose.

Écartelée entre ses contradictions,elle ne saura que choisir

Au fil des ans, la SNCF a cédé aux sirènes du marché et abandonné ses passagers pour la rentabilité, les lignes à grande vitesse, épousant la morale cynique d’un monde que Florence méprise tout en y contribuant. D’un côté, les rails mangés par la désertification ferroviaire, les squelettes de gares, de l’autre les billetteries automatiques et les campagnes de pub… Qu’importe finalement puisqu’au bout il y a toujours son refuge vosgien qui semble immuable. Jusqu’au jour où la commune implante un réverbère devant sa maison, puis un point de tri sélectif, et projette la construction d’un rond-point…
La réalité locale sonne la liquidation du rêve. Aussi, lorsque la SNCF lui demande de travailler à une campagne de communication destinée à améliorer son image, moyennant une grosse somme, tout basculera pour Florence. Écartelée entre ses contradictions, elle ne saura plus que choisir, les chemins de fer ou le chemin des bois… Dans Chemins de fer, Benoît Duteurtre poursuit l’inventaire des pièges d’une modernité destructrice qu’il avait commencée sur un ton plus léger dans Service Clientèle (Gallimard, 2003) et plus malicieusement détaché dans La petite Fille et la cigarette (Fayard, 2005).
Prix Médicis 2001 avec Le Voyage en France, l’écrivain a mis beaucoup de lui-même dans ce roman pessimiste et courtois. Havrais d’origine et parisien d’adoption, il séjourne régulièrement depuis l’enfance au Valtin, sous le col de la Schlucht, dont une partie de sa famille est originaire. On pense à Marcel Aymé pour son sens de l’ironie, au Roger Vailland des Mauvais Coups pour la veine tragique.

Un monde contemporain pour lequel l’humain ne fait plus partie de la modernité

Le livre allie de beaux passages teintés de la nostalgie de l’enfance et de la grâce des forêts vosgiennes à la consignation pointilleuse des reniements de la SNCF. Il est aussi une critique sociale d’un monde contemporain pour lequel l’humain ne fait plus partie de la modernité, réduite au progrès technologique et au culte du profit.

Grégoire Gauchet

Chemins de fer, de Benoît Duteurtre, chez Fayard, 2006, 205 pages, 17 €.

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