Benoît Duteurtre, Livre pour adultes, Jérôme Garcin, L’Obs, 29 septembre 2016

Benoît Duteurtre, Livre pour adulte, Jérôme Garcin, L'Obs, 29 septembre 2016LE CHOIX DE L’OBS
Alors, Duteurtre ?

 

**** « Alors, Duteurtre ? » C’est ainsi que, du haut de ses cent ans et de son appartement du boulevard de Clichy, Madeleine Milhaud, la veuve de Darius, l’amie de Ravel et de Satie, accueillait, en 2002, l’auteur de « Gaieté parisienne ». La vieille dame, qui avait joué du piano devant Debussy, s’est éteinte à cent cinq ans, mais on croirait que son visiteur a écrit ce livre subtilement foutraque pour lui répondre. Alors, Duteurtre? Eh bien, voici. L’insolent jeune homme s’étonne d’être rattrapé par l’âge – 56 ans – et par la nostalgie. Sa mère se meurt à l’hôpital, emportée par Alzheimer, après avoir murmuré à son fils:« Vous ressemblez beaucoup à mon mari. » Elle était la petite-fille du président René Coty,« qui aimait les pauvres et les malheureux ». Mais elle avait tout oublié, alors le Havrais Benoît Duteurtre se dépêche de rassembler ses souvenirs. Ils ont deux principaux lieux d’attache. La Haute-Normandie et les Vosges. Les falaises d’Etretat et une vallée proche de Saint-Dié. La plage de galets où se succèdent les générations de familles bourgeoises (l’auteur se flatte de ne pas avoir cédé, lui, à « l’orgueil » de la procréation) et le village vosgien dans le cimetière duquel il projette déjà de reposer, avec son compagnon, Victor, qui est asthmatique et a des manières de chat. La Haute-Normandie, où les nantis de l’espèce humaine se survivent, et les hautes Vosges, où le monde rural se meurt. L’occasion, pour l’auteur de « A propos des vaches », de chanter la « poésie du grenier à foin, ce grenier du rêve où je grimpe parfois, comme lorsque j’étais enfant ». Une mélancolie tempérée par une bonne humeur qu’il a héritée de sa mère – « mieux vaut en rire » – et dont il a fait son programme quotidien. Il avoue y ajouter, afin de donner « un meilleur goût à la vie » et des arguments à son incorrection, une consommation assidue d’alcool, de tabac et de cannabis. Alors, Duteurtre, ce « Livre pour adultes », c’est un recueil de souvenirs ? Non, c’est un roman au titre trompeur où, inventant un genre qui n’existe pas, un roman transgenre donc, l’écrivain-musicologue jongle en virtuose avec des récits, des nouvelles, des libelles, des portraits et des autoportraits qu’il rassemble pour mieux se ressembler. A la fois moraliste et immoraliste, attendri et colérique, sociable et asocial, chansonnette et symphonie, le classique et antimoderne Benoît Duteurtre est parvenu à l’instant de sa vie où il peut écrire que « le balancier s’inverse et la vie antérieure prend plus d’intérêt que le monde à venir ». Un balancier qui, en rythmant les heures, fait entendre une bien jolie musique.

Jérôme Garcin

Livre pour adultes par Benoît Duteurtre, Gallimard, 244 p., 19,50 euros.

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