Benoît Duteurtre, Livre pour adultes par Éric de Bellefroid, La libre Belgique, 22 août 2016

Benoît Duteurtre, Livre pour adultes, Éric de Bellefroid, La libre Belgique, 22 août 2016Passage de témoin
Les nostalgies de Duteurtre
► Un « Livre pour adultes » où la mélancolie se lit sans pathos.

 

Auteur toujours inattendu dans le choix de ses livres, Benoît Duteurtre l’est plus que de coutume avec son dernier d’entre eux, « Livre pour adultes », roman assez largement autobiographique dont le titre pourrait faire croire, à tort, à une aventure lubrique. Confinant par endroits à l’essai, cet ouvrage en patchwork est également mâtiné de fiction, en quoi il revendique la qualité de roman.
Né le 20 mars 1960 à Sainte-Adresse, dans la banlieue du Havre, l’écrivain et critique musical est aussi l’arrière-petit-fils de l’ancien président de la République René Coty, « fort populaire, [et] qui aimait les pauvres et les malheureux ». Il s’est imposé, au fil des années, par un style des plus singulier, où la mélancolie le dispute toujours au comique. Il en fournit de bons exemples dans « Le retour du Général » (2010), « L’Été 76 » (2011) ou encore, l’an dernier, avec « La nostalgie des buffets de gare ».
Aussi, cette fois, se souvient-il d’emblée de Pigalle, quartier parisien mythique où, après l’an 2000 encore, il allait retrouver la centenaire Madeleine en son immeuble du boulevard de Clichy. Non sans regretter, pour ainsi dire, les « petites femmes » d’antan, qui « avaient quasi disparu des trottoirs, sauf quelques travestis shootés à l’ombre d’une sanisette Decaux ». Signe, comme il dit, que le marché des désirs commençait à se replier sur internet.
Madeleine, pour lui, exhalait tout le parfum du Montmartre où s’était jadis établie la bohème, avant de devenir un haut lieu de la prostitution, puis un bazar à touristes. Elle vivait là-bas depuis 1925. Quand elle l’appelait « Duteurtre », il était rougissant de fierté, se trouvant ainsi mêlé à une cohorte d’illustres artistes comme Satie, Ravel, Cocteau, Poulenc, Picabia. Elle avait elle-même côtoyé Fernand Léger, Igor Stravinsky ou Darius Milhaud, son mari. Il en restait chez elle maintes traces vivantes, des lettres des uns, des esquisses des autres.

Évoquant ainsi cette égérie vieillissante, mais toujours debout, Duteurtre signe une prédilection pour les mondes bientôt disparus. Dans le genre, il raconte aussi une visite chez sa mère au centre Korian, établissement industriel de « fin de vie » où se croisent sans se regarder des morts-vivants, qui déambulent, perdus, dans les dédales d’un avenir qui ne les regarde déjà plus. « Tous vont de la même démarche hébétée, du même pas incertain, chacun suivant un point fixe de lumière
Chemin faisant, l’auteur de 56 ans, principalement partagé entre Paris, les Vosges et la Normandie, examine ses propres perspectives de quinquagénaire. « Pourquoi fallait-il, à cinquante ans passés – cet âge qui invite à profiter du temps qui reste -, se laisser envahir par des obsessions, des agacements, des angoisses ? Pourquoi les petits travers du monde qui l’entourait lui devenaient-ils chaque jour plus insupportables ?»
Taraudé par la vieillesse, la maladie et les incertaines promesses de la mort, le déclin en somme, il contemple également sur la plage d’Étretat, « sur cette côte normande chère aux grands peintres », l’effervescence estivale des familles regroupées autour de leurs enfants, et leur bonheur éphémère. Et d’envisager le pire pour quelques-unes de ces têtes blondes insouciantes et inconscientes de ce qui les attend, « parce que le monde est entré dans un chaos qui ne donne pas foi dans le destin de l’humanité ». La plage, décidément, est le lieu même où les générations se passent le témoin. Du rire aux larmes.

Eric de Bellefroid

Livre pour adultes Benoît Duteurtre/ Gallimard / 239 pp., env. 19,50 €

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