ROMAN
Duteurtre, sa vie, son œuvre
MA VIE EXTRAORDINAIRE, PAR BENOÎT DUTEURTRE,
GALLIMARD, 336 P., 20 EUROS.
**** Maintenant qu’il est entré en soixantaine, Benoît Duteurtre donne des arguments à sa vanité et travaille à sa postérité. Il avoue préparer déjà un recueil posthume d’œuvres choisies, qui résumerait « le meilleur » de ce qu’il a écrit depuis la parution, en 1985, de son premier roman, « Sommeil perdu », réédité sous le titre éloquent de«A nous deux, Paris! ». Cette somme devra obéir à un ordre strict: romans, eux-mêmes découpés en « autobiographies », « anticipations » et « tableaux modernes », récits, puis essais, essentiellement musicologiques et polémiques. Mais, doutant encore de la place que l’avenir et les dictionnaires lui réserveront, Benoît Duteurtre veut croire du moins que ses livres nostalgiques et satiriques seront associés à ses lieux familiers – Étretat , Le Havre, les Vosges -, aux écrivains majeurs qui l’ont adoubé, de Beckett à Houellebecq et de Salacrou à Kundera, ou au président de la République René Coty, dont il est l’arrière petit-fils. On voit que, avec l’âge et son cortège de renoncements (à l’insouciance, à la Bohême et aux stupéfiants), l’auteur, souvent illustré par Sempé, de« Tout doit disparaître », a choisi de se documenter. Et qu’importe s’il entend qu’« on ricane autour de [lui]».
Le titre de son nouveau roman, qui n’a rien d’un roman, fera sourire les mêmes moqueurs: «Ma vie extraordinaire » n’est pourtant pas un exercice d’autoadmiration, c’est, écrit-il, « la chronique de mes enchantements ». Il arpente les Vosges paradisiaques de son enfance, autour de sa maison du Valtin, en compagnie de l’homme, Jean-Sébastien, qui partage son existence. Il s’éloigne, sur les chemins pentus des prairies d’altitude, de sa jeunesse citadine, dissolue, noctambule et cocaïnomane, prend goût à « la vie paysanne », préfère la compagnie de ses chers disparus à celle de la communauté LGBTQIA+, à laquelle il refuse mordicus d’appartenir, archive son passé littéraire, musical, radiophonique, sacrifie désormais, en misanthrope égoïste, à son propre « bien-être ». Car le temps presse, la presbytie gagne, la « décrépitude » menace, la libido fléchit et, à l’en croire, la mort l’obsède. C’est prématuré, mais sincère. Celui qui confesse avoir toujours été en même temps un « chien furibard » et « un être civilisé désirant plaire » a cessé d’aboyer et, maintenant, désire surtout se plaire.
JÉRÔME GARCIN
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