« Hommage aux brasserie » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1237 du 27 novembre au 3 décembre 2020

Carte blanche

HOMMAGE AUX BRASSERIES

PAR BENOÎT DUTEURTRE

Peu de mots riment aussi parfaitement que « Paris » et « brasseries ». Le XIXe siècle a donné à la capitale ses boulevards, sa physionomie urbaine ; il lui a légué aussi ces grands établissements fondés par des Alsaciens (c’est pourquoi on y mange de la choucroute) avant de perfectionner leur formule en y ajoutant les produits de la mer (pas de brasserie sans écailler sur le trottoir) et ceux de la campagne (le chateaubriand béarnaise complétant la base de cette carte parisienne devenue universelle). Quand j’étais enfant, venant du Havre à Paris, la ville se révélait devant la gare Saint-Lazare par ses murs gris, ses cinémas pornos de la rue d’Amsterdam, et surtout les brasseries qui faisaient face au flot des voyageurs: Mollard (dont le nom nous faisait sourire et contrastait avec son ravissant intérieur Belle Epoque) et Garnier, temple des coquillages modernisé à la mode des années 1970. Quand j’allais devenir vraiment parisien et arpenter les différents quartiers, cette exploration se ferait encore au rythme des brasseries et de leur décor, mais aussi de leur style de vie: car ce sont des lieux où l’on peut manger seul ou à plusieurs, côte à côte ou face à face, lentement ou rapidement grâce au savoir-faire des impeccables serveurs en noir et blanc. C’est pourquoi je trouve si triste aujourd’hui, dans un Paris confiné, de voir fermées ces grandes maisons indissociables de la vie citadine dont elles sont la signature… et anxieux à l’idée que certaines d’entre elles puissent mettre la clé sous la porte.

À cet instant, je revois quelques chères brasseries disparues dans l’indifférence qui préside souvent aux travaux urbains: c’était, à Montparnasse, le merveilleux restaurant Hansi et sa salle tout en longueur, ornée de fresques montagnardes dessinées par les élèves du peintre alsacien (elle fut détruite et remplacée par une boutique de fringues); mais aussi, rive droite, le théâtral Charlot, roi des coquillages (transformé en Franprix); le restaurant Goldenberg (mélange de brasserie parisienne et de restaurant juif traditionnel); ou encore, sur les Champs-Élysées, le Val d’Isère et son décor chic d’ancienne station alpine. Avec chacune d’entre elles, un peu de la magie parisienne s’est éteinte, même si, fort heureusement, les deux plus chères à mon cœur sont toujours vivantes : la Brasserie de l’Isle Saint-Louis, tenue par la même famille depuis trois générations, avec sa vue sur la Seine, son antique percolateur et ses choucroutes fumantes; et le Petit Riche, près des Grands Boulevards, lieu de prédilection des comédiens et des journalistes qui aiment sa succession de box et de petits salons, ses vins de Loire et ses huîtres désignées par Périco Légasse comme les meilleures de Paris : ce n’est pas moi qui le démentirai, quoique, cette année, je tire la langue en attendant d’avaler mes premières spéciales » à ma table favorite!

Lorsqu’un ami de province (comme on disait autrefois) vient à la capitale, c’est toujours dans une brasserie que je le convie à déjeuner ou à dîner pour donner à notre repas un style parisien répondant aux théâtres, aux entrées de métro ou aux colonnes Morris. Quelquefois, nous retournons à Montparnasse, dont la gloire reste indissociable de ses quatre grandes brasseries (Rotonde, Coupole, Dôme et Select); à moins d’opter pour l’élégant intérieur Art déco de La Lorraine, place des Ternes, pour le foisonnement Art nouveau de Vagenende à l’Odéon, pour la fièvre urbaine du Wepler, place de Clichy; pour les conciliabules de Lipp, boulevard Saint-Germain, pour l’antre sombre de Flo en plein faubourg Saint-Denis, pour le chaleureux décor de Bofinger à la Bastille ou pour le Pied de cochon jusqu’au petit matin. Les gares et portes de Paris comptent également d’attachantes brasseries – sans parler de celles que j’oublie et de leurs cousines des préfectures françaises qui, à l’instar de la capitale, comptent presque toutes un établissement de cette famille comme La Cigale à Nantes, l’Excelsior à Nancy (chef-d’oeuvre modern style où je m’arrête entre deux trains), Georges à Lyon, ou Kammerzell à Strasbourg… Brasseries, je vous aime et vous me manquez. Tenez bon, car la vie, pour moi, ne recommencera vraiment qu’au moment de franchir à nouveau votre porte à tambour.

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Une réflexion sur “« Hommage aux brasserie » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1237 du 27 novembre au 3 décembre 2020”

  1. Quelle honte?Ne même pas mentionner la Brasserie Paillette!! Vous meriteriez d’être déchu de votre citoyenneté havraise !! Espère vous rattraperez un jour en citant ma bien aimée Galerne
    Et pourtant ne suis pas Havrais

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