Culture – James Brown, par lui tout a été fait Par Benoît Duteurtre dans Marianne du 13 janvier 2007

J’avais 16 ans ; je venais d’en finir avec la pop de mes tontons, pour me tourner vers la new wave et ses pulsions dansantes, un brin robotiques : Madness, Devo, Talking Heads… C’est alors, au cours d’une fête, que j’entendis pour la première fois un long morceau de James Brown (une version live de Get Up Offa That Thing) et que mes pieds commencèrent à bouger, irrésistiblement. Il me sembla qu’une grande vague musicale balayait dans mes oreilles tous les élans postadolescents du rock, tous les cris de transgression du petit Blanc, pour raviver la simplicité et la vérité de la musique, le sens de la jubilation, l’art de faire très savant avec très peu de notes. Ainsi commença ma quête inlassable des disques du  » Godfather Of Soul  » qui m’a conduit, rapidement, à regarder James Brown comme le musicien le plus important de cette seconde moitié du XXe siècle.

Après sa mort, au cours de la nuit de Noël, la presse s’est demandée s’il avait 73 ou 78 ans ; elle a rappelé sa mégalomanie, sa fortune et ses faillites, son engagement pour la cause noire… Sujets d’un intérêt modéré, en comparaison avec ce que James Brown a inventé : un style musical génialement épuré, une machine répétitive où se superposent riffs de guitare, dialogues de cuivres, chants de basse et chœurs inlassablement scandés ( » get on up « ). Il faut se rappeler que James Brown fut un enfant du gospel, dont les transes et les éructations colorent sa voix. Mais son coup de génie fut de transformer cet héritage en inventant, au début des années 70, le funk – qui allait servir de modèle au disco, au rap, au hip-hop et aux trois quarts de la musique enregistrée… Sauf que James Brown avait porté le genre au sommet, dans des albums tels que Hot Pants ou Revolution Of The Mind. Les improvisations enregistrées avec ses proches (Bobby Byrd, Maceo Parker, Fred Wesley) retrouvent l’invention, la liberté, la fraîcheur du premier jazz : ce mélange de mécanique et de spontanéité qui fait la belle musique.

Il faut lire les souvenirs de James Brown, dans lesquels il explique la révolution du funk : cet appui sur le  » one  » – le premier temps, par opposition au contretemps du swing. Sa personnalité irradie cinquante ans de création musicale, des Stones à Bowie, de Prince aux champions du mix qui lui doivent tant. Mr Dynamite préférait masquer sous des allures de pop star kitsch, de sportif de la scène, le musicien absolu dont on peut sans fin réécouter les disques ; revoir aussi les vidéos qui nous le montrent en jeune homme dans des chorégraphies insensées, contrepoint visuel à ses lignes musicales. A l’heure où tant de chanteurs continuent à croire que l’art n’est qu’une plainte, la puissance lumineuse de James Brown reste notre potion magique.

 

Benoît Duteurtre

 

La meilleure compil : Star Time, 4 CD Polydor.

Pour le plaisir : James Brown’s Funky People, 2 CD Polydor.

Un livre : I Feel Good. Mémoires d’une vie, City Editions, 17,95 €.

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