Benoît Duteurtre, Les pieds dans l’eau, Jean-Claude Perrier, Livres Hebdo, 13 juin 2008

Rêveuse bourgeoisie
Comment peut-on être l’arrière-petit-fils du président Coty ?

 

Le président René Coty, hôte de l’Élisée de 1953 à 1958, ne restera dans notre histoire nationale que pour avoir rappelé au pouvoir le général de Gaulle, traitement qu’il ressentit comme une injustice et dont il se plaignit à longueur de pages dans ses carnets. D’aucuns le confondent même avec le parfumeur ! Il serait aujourd’hui bien oublié, sans Jean Du jardin alias OSS 117 dans Le Caire nid d’ espions, qui le considère comme «un grand homme» et distribue sa photo à tous les autochtones égyptiens en guise de bakchich. Et surtout sans son arrière-petit-fils, l’écrivain Benoît Duteurtre, descendant d’une des nombreuses filles du dernier président de la IVe République.

Duteurtre, toujours Les pieds dans l’eau à Étretat, comme quand il était petit, raconte, avec bonne humeur, tendresse, et une irrésistible drôlerie, la saga de sa famille, à la fois très bourgeoise et totalement décalée. Benoît est né en 1960, il a donc peu connu son ancêtre, mort en 1962. Mais il en a beaucoup entendu parler. Il appartient, lui, à la branche havraise de la famille, la moins chic, catho et sociale (comme son grand – père Albert Charles, député gaulliste de « la plus grande ville communiste de France»), et même socialiste et féministe, comme sa mère. Et non à la branche parisienne, plus fortunée, celle qui maintint longtemps le train de vie et la réputation présidentiels à La Ramée, la villa que René Coty avait acquise et largement agrandie à Étretat. Là, dans la petite station balnéaire de la Côte normande immortalisée, entre autres, par son aiguille creuse si chère à Maurice Leblanc et Arsène Lupin, les filles de l’ancien président et leur nombreuse descendance tenaient le haut du galet. Elles se battaient aussi, l’une d’ entre elles surtout , pour la réhabilitation politique du «grand homme» .

Benoît, lui, n’était à son aise nulle part. Cousin fauché qui n’osait pas trop fréquenter La Ramée. Mais aussi jeune bourgeois bien différent de ses copains, fils de prolos vivant dans les premiers HLM. Un Lequesnoy fasciné par les Groseille. Adolescent dans les années 1970, il passera des cantiques de la manécanterie aux Doors, cheveux longs et idées farfelues, et tentera d’oublier dans les brumes du haschich son encombrante famille et son ancêtre, ce «grand-père Coty» devenu «grand Picothère». Cet âge est sans pitié. Mais il est vrai que l’Étretat de Duteurtre a un côté Jurassic Park, d’autant que le narrateur, écrivain en devenir, se plaisait, afin de ressusciter une époque enfuie qui le fascine, à fréquenter les plus âgés des Étretatais, véritables mines de souvenirs.

Las d’être coincé entre les fossiles et les marteaux, le jeune Benoît finira par s’ affranchir, monter à Paris, et devenir écrivain. Cela ne l’ empêche pas, apparemment, de retourner se tordre les pieds sur les galets, se geler les orteils et le reste dans la Manche, et de regretter le bon vieux temps des cabines, des périssoires et des cornets glacés. On a les madeleines qu’on peut, et Cabourg n’est pas si loin. Mais c’est encore un autre monde. Celui ressuscité par un Benoît Duteurtre à son meilleur est un pur bonheur de lecture.

Jean-Claude Perrier

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