« Benoît Duteurtre Un romancier au Paradis » dans Marianne n°1223 du 21 au 27 août 2020

Se rempoter en régions (6/6)

Chaque semaine un citadin azimuté raconte son ré-enracinement
heureux dans la France périphérique.

BENOÎT, UN ROMANCIER AU PARADIS

Notre camarade et collaborateur Benoît Duteurtre partage sa vie entre le frétillant Paris culturo-mondain et un modeste petit village vosgien (l' »anti-île de Ré », nous explique-t-il) cerné de forêts et de pâturages. Un rempotage à mi-temps, précautionneux mais efficace, dont il nous livre le mode d’emploi.
PAR BENOÎT DUTEURTRE

Tu finiras par t’ennuyer ! J’entendais souvent, au début, cette remarque de proches qui me jugeaient trop mondain pour m’éloigner de la capitale. Ils en mettaient leur main à couper: je ne devais pas abuser du village, sans quoi je finirais par regagner Paris en courant.
Les faits leur ont donné tort. Car jamais je n’ai atteint – ni au bout d’une semaine, ni d’un mois, ni de deux mois – ce moment où, lassé par les ruisseaux, les sapins, les vaches et cette relative solitude, je serais impatient de m’ébattre dans la foule et de courir les dîners en ville. Il me faut certes régulièrement retourner à Paris où m’appellent mes émissions de radio, et peut-être cette navette rend-elle plus intense le plaisir des séjours montagnards. Mais plus je suis là-bas, plus je m’enracine dans ce paysage et dans cette vallée. Plus j’arpente la grande forêt, ses chemins et ses clairières, plus elle devient nécessaire. Plus mon rythme s’organise entre le travail, les promenades, les feux de bois, le film du soir avec · Jean-Sébastien, moins j’ai envie de briser ce rythme, sinon pour descendre deux fois par semaine faire des courses à Gérardmer, la « perle des Vosges » qui fut, au XIXe siècle, une des premières stations de montagne à la mode.
Même pour les courses, je préférais toutefois cette fourgonnette qui, voici vingt ans, passait deux fois par semaine au village et se transformait au bord de la route en véritable épicerie. Elle a fini par cesser sa tournée. « Les normes ! », m’a dit l’épicier, mais aussi la disparition de sa vieille clientèle paysanne. Quelques livreurs alsaciens de fruits et légumes apportent encore, de temps à autre, leurs pommes ou leurs asperges. Mais j’attends surtout la réouverture prochaine, en haut du village, d’une ancienne ferme où je pourrai aller chercher mon lait et mes œufs, après être passé prendre une salade dans le jardin de Jean-Marie, le plus sympathique bûcheron des Hautes Vosges. Tel est pour moi le comble du luxe gastronomique : prendre le temps, par les sentiers, de récupérer les ingrédients nécessaires pour faire une omelette au lard et aux fines herbes, avant de manger un fromage local: ce que la novlangue de notre époque désigne sous les termes d’« agriculture de proximité » ou de « consommation vertueuse ». Quant à ma vie sociale, la voilà justement qui se dessine avec cette rencontre du maraîcher, celle du bûcheron, et d’autres encore qui ponctuent ma semaine selon la règle que je me suis fixée:un échange par jour. Ce minimum nécessaire et suffisant transforme en plaisir une conversation improvisée au bord de la route avec ma voisine Françoise (une retraitée venue de Suisse); un passage à la mairie pour échanger quelques considérations avec Janine (la remarquable secrétaire qui fait tant pour la commune); ou encore un moment à l’Auberge Lorraine qui, sous la houlette de Liliane et d’Alain, se transforme parfois en bistrot et rappelle le souvenir des années 1980, quand ce café-épicerie servait de QG à une population éclectique de villageois, travailleurs forestiers, touristes et chauffeurs routiers.
Ma famille venait alors d’acquérir cette maison où je vis désormais une partie de l’année. Elle surplombe très joliment Le Valtin et sa petite église dans un panorama assez fameux pour illustrer de nombreux livres sur les Vosges (même si les arbres ont peu à peu gagné sur les prairies). Peuplée d’une centaine d’habitants, cette commune comporte des milliers d’hectares de forêt, des pâturages d’altitude qui, à 1300 m, marquent la limite entre les Vosges et l’Alsace (hier entre la France et l’Allemagne), trois téléskis, trois hôtels et deux restaurants. Nous ne sommes pas venus ici par hasard car j’ai passé, enfant, toutes mes vacances dans le hameau voisin où mon grand-oncle possédait un ancien moulin. Cette vallée de la Meurthe fut le décor de mes enchantements ; d’où mon lien si fort avec ce paysage, ses torrents et ses cascades, ses greniers à foin, ses plantes innombrables – comme cette petite fougère d’aneth qui donne à la campagne un parfum anisé. Quelques années après la vente du moulin, l’achat d’une nouvelle maison, en 1987, m’est donc apparu comme un « retour au pays »; et c’est ainsi >

RENAÎTRE DANS LES VOSGES

Le vieux massif hercynien bouge encore ! Esthétiquement, économiquement, gustativement, les signes d’animation ne manquent pas. Quelques pôles d’attraction à découvrir et à tester pour qui souhaiterait y prendre racine. PAR BENOÎT DUTEURTRE

On peut aborder les Vosges par la forêt, une des plus vastes et des plus sauvages de France; découvrir ses mélanges de sapins, de hêtres et d’épicéas, ses ravins et ses torrents, ses animaux sauvages (attention à ne pas s’aventurer sur les terrains de chasse). On peut aussi explorer le massif par les crêtes, plus touristiques avec leurs « hautes-chaumes » (nom local des alpages), leurs fermes-auberges surplombant d’un côté le versant alsacien (aux à-pics vertigineux) et de l’autre le versant vosgien (où les « ballons » bleutés se répondent à l’infini). On peut les pénétrer par le sud à l’allure plus montagneuse au-dessus de la Bresse ; ou plonger dans les Vosges touffues et mystérieuse du nord, avec leur villes de grès rose comme Raon-l’Étape. On peut se lamenter de la quasi-disparition de l’agriculture de montagne, de la multiplication des grandes surfaces (une demi-douzaine à Gérardmer), qui éradiquent le petit commerce, des regroupements intercommunaux démesurés. On peut être fâché par la goujaterie des motards venus de toute l’Europe qui sillonnent la route des crêtes avec un bruit monstrueux – indifférents aux moindres règles et révoltés quand on leur demande de les respecter. On peut aussi se réjouir d’observer, dans cette région réputée pauvre et rude, certains signes de renaissance. Exemples…

  • LA VACHE VOSGIENNE Cette race magnifique fut menacée de disparition et sauvée in-extremis par quelques passionnés, relayés par des figures médiatiques, comme la chanteuse québécoise Fabienne Thibeault. Mais ce sont surtout, aujourd’hui, des fermiers comme les frères Kuhlmann, entre Soultzeren et Le Valtin, qui assurent la pérennité de ces bêtes caractérisées par leur flanc noir, leur échine saillante, leur tête mouchetée, leur agilité sur la pente… et leur lait qui contient tous les secrets du munster.
  • LA VALLÉE DES LACS Gérardmer (on prononce « Gérardmé »), Longemer (on dit « Longemer ») et Retournemer (idem) jalonnent la « vallée des lacs ». Si le lac de Gérardmer est le plus vaste et le plus célèbre, celui de Retournemer le plus sauvage, Longemer, entre les deux, est un des plus beaux sites vosgiens. Les forêts s’y reflètent dans une eau limpide au pied du Hohneck, le roi du massif. Un chemin grimpe à la ferme des Plombes, un des derniers élevages en activité à cette altitude. On y fait du géromé, proche cousin du munster. Les deux fils Remy viennent de reprendre l’exploitation longtemps tenue par leur mère, Gisèle. Il faut souhaiter longue vie à ce fleuron de la paysannerie de montagne.
  • LA CHARCUTERIE Les Vosges sont un pays de charcuterie, où la viande fumée se décline dans de nombreuses recettes (choucroute, tofaille, baeckeoffe). On en trouve une magnifique illustration à la boucherie Baudoin de Gérardmer, réputée au-delà du canton pour ses saucisses, ses viandes fumées et son fromage de tête. Il faut également s’arrêter chez Tisserant, la boucherie charcuterie de Xonrupt-Longemer, un palais des Mille et Une Nuits de la bonne nourriture.
  • LE VALTIN La Maison Gollette est l’exemple d’une boulangerie de village ranimée par des passionnés. La boutique voisine, Les Herbes du Valtin, propose ses plantes cultivées dans des enclos en bordure de la forêt. Au village également trois hôtels et restaurants – L’Auberge du Val Joli, l’Auberge Lorraine et Le Vétiné – soulignent l’attrait de ce petit coin des Vosges.


Voir aussi :

Une réflexion sur “« Benoît Duteurtre Un romancier au Paradis » dans Marianne n°1223 du 21 au 27 août 2020”

  1. Dans peu de temps, il faudra repeupler les centres villes, désertés par les citadins courant se réfugier à la campagne, pour respirer de plus près les pesticides. C’est le thème du prochain roman de Michel qui a toujours un temps d’avance. Son héros sera le calque de son ami Benoit, écartelé entre Etretat et les Vosges, lui permettant d’échapper aux canicules, sans être cependant à l’abri d’une montée soudaine des eaux, suite à la fonte subite d’un glacier, provoquée par un mégot oublié. Le choix d’une résidence à l’extrême opposé sur les hauteurs Vosgiennes prend tout son sens, à condition que le déferlement des eaux soit plus lent que le TGV, et que ce dernier ne soit pas en grève, ou bloqué par un gilet jaune, ou deux, avec ou sans masque. On comprend mieux pourquoi Benoit s’inquiète de la disparition des lignes secondaires. Qu’il se rassure, un jour prochain, les trottinettes volantes lui permettront de rejoindre illico son vert paradis, sans se mouiller. Malheureusement le paradis risque d’être vite encombré. On comprend là aussi pourquoi Benoit ne lâche pas son pied à terre Parisien, de plus situé face à « Paris plage », pour se consoler, au cas ou les falaises d’Etretat en viendraient un jour à être englouties, par la faute d’un randonneur de glacier, fumeur inconséquent. Il serait temps de penser à une quatrième résidence en Suisse, pour parer au risque de l’arrivée de Mélenchon à l’Elysée, sachant qu’il est hostile aux trottinettes volantes.

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