Benoît Duteurtre, Chemins de fer, par SÉBASTIEN LAPAQUE, Le Figaro, 28 septembre 2006

Quand la vie déraille 

Où la directrice d’une agence de « com » découvre la tyrannie du « moderne », rien qu’en prenant le train. 

« PEUT-ÊTRE le bonheur n’est-il que dans les gares », scandait Charles Cros, un avant-hier oublié. Longtemps après que le poète a disparu, les usagers ont été remplacés par des clients, les guichets par des bornes électroniques, les brasseries par des distributeurs de friandises. Les tickets de quai ont disparu et le bonheur avec eux. On pourrait en pleurer. Benoît Duteurtre préfère en rire dans une fable d’époque qui met en scène la directrice d’une agence de communication terrifiée par la modernisation de la SNCF. « Assez bonne nageuse dans le bassin de la vie mondaine », adaptée aux rugueuses nécessités économiques de son époque, Florence découvre avec effroi la modification des mœurs induite par la catastrophe sociale en cours à l’occasion de liaisons ferroviaires entre Paris et sa maison de montagne.

Façon de Virgile rieur aux Bucoliques abolies, Benoît Duteurtre imagine avec malice la rencontre entre cette citadine lassée par la modernité et des ruraux assoiffés de progrès. Progressiste à la ville, son héroïne se découvre réactionnaire aux champs, s’acharnant à concilier les contraires à l’occasion de ses voyages en train. Hélas, c’est en voiture que les choses sont parfois les pires, et le discours commercial des contrôleurs relookés n’y change rien. 

La communicante chargée d’imaginer les slogans publicitaires qui accompagnent toutes les liquidations se prend à regretter la transformation du service public en ­entreprise à fort taux de croissance. Déroulant ses effets au fil d’un journal intime, l’apologue est joliment troussé, quoique un peu démonstratif. Benoît Duteurtre, qui a déjà inscrit les embouteillages et les téléphones portables à son tableau de chasse, sait pourtant qu’il faut mieux montrer que décrire pour réussir à faire rire. Il faut croire que notre ­Molière était un peu las de ferrailler contre la bêtise. N’importe. Il continue d’apporter au roman français la légèreté, la fraîcheur et l’esprit critique qui lui font défaut, alternant grands effets et petites pièces d’époque jouées sur le mode mineur.

Sébastien Lapaque

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