Benoît Duteurtre, « La Mort de Fernand Ochsé », Christian Authier, L’Opinion Indépendante, 16 février 2018

Benoît Duteurtre à la recherche d’un artiste oublié

L’écrivain ressuscite la figure de Fernand Ochsé dans un livre aussi joyeux qu’émouvant.

Benoît Duteurtre. Photo © Richard DumasDans ses essais comme dans ses romans, Benoît Duteurtre ne cesse d’ausculter les lignes de front entre les temps présents et un passé plus ou moins révolu. La Mort de Fernand Ochsé, manière de biographie buissonnière d’un artiste aussi singulier qu’oublié, né en 1879 à Paris et mort en 1944 à Auschwitz, ne déroge pas à la règle. L’auteur de Gaieté parisienne, de Requiem pour une avant-garde ou de La Nostalgie des buffets de gare aime également mêler les genres et les tons, passer de l’intime au général, de la drôlerie à la noirceur. Si son nouveau livre est sans doute le plus grave de son œuvre et si les derniers chapitres renferment des pages aussi glaçantes que poignantes, l’évocation de Fernand Osché est le prétexte à la résurrection d’une époque où l’effervescence artistique, le bouillonnement créatif s’accomplissaient dans la légèreté et la douceur de vivre.

C’est ainsi le Paris de 1850 à 1950, du début du second Empire à la IVème République avec son «foisonnement de modèles artistiques, théâtraux, picturaux, littéraires, musicaux» que l’auteur exhume. «À Paris, l’Art nouveau voit le jour en même temps que sa dérision. Une même passion d’inventer relie Jules Verne, Georges Méliès ou Gustave Eiffel», écrit Duteurtre. Offenbach, Charles Cros, Satie, Proust, Guitry ne sont pas loin. La capitale française attire Stravinsky, Picasso, Chagall, Hemingway, Cole Porter, Kurt Weill, Soutine ou Modigliani. Renoir et René Clair tournent leurs premiers films. L’écrivain revisite la Belle époque et les Années folles avec la joie d’un enfant. Il n’oublie pas de saluer «la fantaisie des opérettes et leur singularité : ce mélange de savant et de divertissant, ces bons auteurs écrivant des vaudevilles, ces fins compositeurs troussant des chansons pour public éclectique, à la fois snob et populaire.»

Sauver de l’oubli

Benoît Duteurtre, La Mort de Fernand Ochsé, Fayard«Personnage proustien des années 1900, proche de Reynaldo Hahn et d’Henri de Régnier», Fernand Osché ne fut pas un artiste de premier plan, mais plutôt un second rôle attachant dont la vie étonnante et riche s’est donc achevée dans la pire horreur du XXème siècle. Avant cela, cet ami et protecteur d’Arthur Honegger, ce collectionneur d’objets rares, d’automates et de peintures (notamment Le Souper au bal de Degas) a été un décorateur et un costumier de talent, il a composé et écrit. De son existence et de son œuvre ne restent pourtant que des bribes, des traces, des fragments, quelques recueils de mélodies (sur des poèmes d’Henri de Régnier et de Verlaine), des chansons, une unique opérette jamais jouée et dont la partition est perdue… Benoît Duteurtre part à leur recherche, rencontre les descendants de ceux qui connurent et aimèrent Osché. Gisèle Casadesus confie à l’auteur : «Fernand, c’est tout mon enfance.» On devine que, paradoxalement, il pourrait faire sienne cette déclaration. C’est la dimension la plus émouvante de ce livre à la fois filial et fraternel qui célèbre «les bonheurs du rythme, les ressorts de l’intrigue et de la comédie». On croise d’autres compositeurs, juifs comme Osché, qui connaîtront le même funeste destin – Marcel Lattès, Casimir Oberfeld à qui l’on doit Félicie aussi immortalisée par Fernandel – mais aussi Darius Milhaud et Francis Poulenc, «la grande musique et la petite, l’art moderne et la chansonnette».

La Mort de Fernand  Ochsé, qui tient de la biographie, de l’autobiographie, de l’essai, de l’enquête et du roman, est un hommage à la sensibilité, la frivolité, la fantaisie, la pudeur. En collectant «des poussières de souvenirs ajoutées les unes aux autres», Benoît Duteurtre sauve de l’oubli un «destin brisé et pourtant si touchant, si poétique dans sa façon de traverser un demi-siècle de vie parisienne, de musique, de peinture et de théâtre.» Fernand Osché aurait adoré.

Christian Authier

La Mort de Fernand Ochsé, Fayard, 295 p.

Benoît Duteurtre © Richard Dumas

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