LA COUVERTURE de Livre pour adultes annonce «roman », mais s’agit-il bien d’un roman ? Jetons un oeil à la table des matières : le livre est découpé en huit parties, elles-mêmes composées de chapitres qui se font écho tout au long du texte, comme des séries entrelacées. On trouve là-dedans des bouts de fictions, d’autobiographie, de souvenirs, et même de petits essais. C’est un puzzle multicolore, proche d’un recueil de chroniques. Peu importent les catégories, du reste: sitôt qu’on ouvre le livre, on tombe sous son charme. Derrière la variété des formes, il ne parle en fait que d’un sujet : la mélancolie, l’attirance pour le passé, le sentiment doux-amer du temps qui s’écoule, autant de marottes qui imprègnent toute l’œuvre de Benoît Duteurtre depuis l’origine, et dont la prégnance s’accentue dans ses derniers livres – Les Pieds dans l’eau, chronique balnéaire mâtinée d’une évocation des années 1950-1960, À nous deux, Paris !, sur l’ambiance débridée des années 1980, ou L’été 76 et La nostalgie des buffets de gare, dont les titres sont des programmes en soi.
Ici, le ton est donné dès la première partie, intitulée, précisément, « Le passage du temps ». La mort des êtres chers, la transformation des paysages, l’évolution des modes de vie, les mille et un détails qui témoignent d’une époque (« Je me suis à peine remis de la fin du numéro de téléphone à sept chiffres »), voilà les thèmes autour desquels tourne Duteurtre, écrivain hanté en secret, comme tant d’autres, par le sentiment du nevermore.
Le charme des ruines. On a vite fait de se méprendre sur cette tournure d’esprit, de confondre l’intérêt pour le passé avec le passéisme. Les deux choses n’ont pourtant rien à voir. On peut être progressiste en politique mais goûter en même temps le charme des ruines, des vieilleries, de ce qui n’est plus à la mode, de ce qui porte la couleur d’un temps révolu, le parfum d’une époque disparue. Ce qui compte pour un esthète comme Duteurtre quand il soupire après le passé, ce n’est pas le passé: c’est le soupir. «Toute notre vie, écrit-il, est jalonnée par les extinctions d’êtres, d’objets, d’habitudes, comme autant de petits mondes qui s’éteignent pour toujours. » Comment rester indifférents à ces extinctions, si mineures soient-elles ? Cela n’empêche pas notre homme d’être optimiste, voire joyeux, par politesse et par conviction.
Tel est le paradoxe de cet écrivain double, à la fois nostalgique et gai, mélancolique et rieur, qui célèbre le passé sans déploration, et qui n’attaque le présent que sur le mode de la farce tendre, de la satire douce-amère. Fictionnels ou intimes, anecdotiques ou profonds, ces beaux textes mélangés évoquent en vrac la disparition du monde paysan, la mort de la mère de l’auteur, la disparition des convenances et des manières bourgeoises, la succession des générations et, au bout du compte, la mort qui nous attend à la fin. Autant de manières d’explorer la mélancolie et la nostalgie, tout en prouvant qu’elles sont le contraire de la tristesse.
Bernard Quiriny
Livre pour adultes, de Benoît Duteurtre (Gallimard, 242 p., 19,50 €).