Benoît Duteurtre, Pourquoi je préfère rester chez moi, Jack Dion, Marianne, 17 mars 2017

Benoît Duteurtre, un dégoût très sûr

Dans « Pourquoi je préfère rester chez moi », notre collaborateur s’insurge contre les maux normatifs de notre société. PAR JACK DION

Le Candide de Voltaire promenait sa (fausse) naïveté aux quatre coins du monde pour mieux mettre en lumière les faux-semblants, les illusions, les pièges du politiquement correct de l’époque. Une fois son périple effectué,

le héros retournait dans sa métairie, convaincu qu’il fallait cultiver son jardin (intérieur ou pas). A sa manière, Benoît Duteurtre est un Candide de nos temps modernes. Son dernier livre s’intitule Pourquoi je préfère rester chez moi. Il ne faut pas prendre la formule au pied de la lettre. L’écrivain, bien connu des lecteurs de Marianne, n’est pas un misanthrope normand parti se réfugier au fin fond d’une forêt afin d’échapper aux dures lois de l’univers social. Simplement, il est un air du temps auquel il ne peut s’habituer (il n’est pas le seul). Il aime à le faire savoir à sa manière, qui tient de l’allusif transformé en arme de destruction idéologique massive. C’est ainsi: de même qu’il faut se méfier de l’eau qui dort, il faut se garder du moraliste qui rêve.

Benoît Duteurtre ne comprend pas que l’anglais soit devenu la langue quasi officielle d’un continent que la Grande-Bretagne vient de quitter et du royaume officiel de la francophonie. Il ne comprend pas que les élites se piquent de parler un globish appauvrissant. Il ne comprend pas que son neveu parle d’un «aïPhone » et non d’un « iPhone ». Il ne comprend pas, lui l’amoureux des grands hôtels, que ces derniers succombent à une standardisation qui les transforme en salon de guidage pour grand handicapé.

Il ne comprend pas pourquoi la France importe systématiquement

les pires tares du modèle américain, à commencer par le système de la primaire, cette caricature de démocratie. Il ne comprend pas que l’on s’agenouille devant cet « impérialisme américain >> naguère honni et que l’on soit passé de De Gaulle à Nicolas Sarkozy, qui est à la politique ce que le yé-yé fut à la chanson.

IL NE COMPREND PAS…

Il ne comprend pas que les édiles de Paris soient si insensibles au charme de la capitale au point de multiplier des initiatives festives et hygiénistes savamment organisées pour attirer les touristes en goguette et les bobos en rollers, mais jamais les Parisiens

désireux de profiter de leur ville comme ils l’entendent, sans police des mœurs aux trousses et obligation de respecter le code de bonne conduite édicté par Anne Hidalgo du haut du parvis de l’Hôtel de Ville.

Il ne comprend pas que l’Homo festivus décrit par Philippe Muray. qui rythme sa vie avec la Gay Pride, la Techno Parade et la Nuit blanche, l’emporte sur ceux qui voudraient juste aller boire un verre en terrasse sans fond musical obligatoire. Il ne comprend pas que la France ait pu se donner un président de la République qui se livre au colonialisme humanitaire et épouse le discours des faucons de Washington. Il ne comprend pas ces éditorialistes du Monde et de Libération qui voient la réalité avec des ceillères, en Syrie ou ailleurs. Il ne comprend pas l’obsession russe qui consiste à penser que tout ce qui est décidé au Kremlin est forcément mal et que Poutine est un nouveau Staline. Il ne comprend pas ceux qui voient des nazis partout, qui traquent en permanence le retour de la «<bête immonde », qui édictent des listes de mauvais penseurs et qui paradent avec leur bonne conscience en bandoulière. Il ne comprend pas la doxa dite avant-gardiste qui règne dans le milieu artistique et qui étale son mépris pour la culture populaire, comme si elle sentait mauvais.

On aura compris que Benoît Duteurtre est un homme en colère, même s’il exprime ses sautes d’humeur avec la délicatesse qui sied à un amoureux de l’opérette, des toiles de Manessier et de l’oeuvre d’Olivier Messiaen. A force de cultiver son jardin, comme Candide, Benoît Duteurtre a fini par avoir le dégoût très sûr.

Pourquoi je préfère rester chez moi, de Benoît Duteurtre, Fayard, 214 p., 17 €.

Benoît Duteurtre, Pourquoi je préfère rester chez moi, Jack Dion, Marianne, 17 mars 2017

Benoît Duteurtre, Pourquoi je préfère rester chez moi, Jack Dion, Marianne, 17 mars 2017

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