Benoît Duteurtre, Livre pour adultes, Jean-Claude Lebrun, L’humanité, 27 octobre 2016


Benoît Duteurtre, nostalgique, mais pas trop

 

la chronique littéraire de Jean-Claude Lebrun. Benoît Duteurtre va et vient, entre les jours heureux d’hier et les contentements d’aujourd’hui.

On continue de le voir en jeune homme débutant au milieu des années 1980. Et voici déjà le vingt-sixième livre, à l’entrée dans sa cinquante-septième année. Le temps qui passe, la vie qui doit s’en arranger, bousculée par les remontées de souvenirs d’enfance et de jeunesse, tel est justement le thème central de ce nouveau volume présenté comme un « roman », malgré sa prégnante composante autobiographique. Cet arrière-petit-fils du président Coty a choisi en effet de mêler au récit intime, en manière d’éclairage, un ensemble de réflexions et de textes de fiction qui font de ce Livre pour adultes le véritable roman d’une vie.

Pour adultes, non pas à cause de la licence du propos, mais parce que Benoît Duteurtre a maintenant franchi la ligne invisible qui fige la jeunesse dans un passé définitivement lointain et érige le monde d’hier en modèle enviable. Peut-être parce que l’idée du néant à venir n’y possède encore aucune tangibilité. Depuis, il y avait eu l’Alzheimer de la mère. Ses déambulations au bras de l’écrivain, devenu maintenant l’adulte, dans les couloirs d’un établissement spécialisé. Lui reviennent alors les souvenirs des réunions de famille, les images de la plage de Sainte-Adresse, lieu immuable qui prêtait son décor à la succession des générations descendant à la baignade. Tandis que du côté du père se déployaient les rudes paysages des Hautes-Vosges, un monde paisible arrimé à ses ancestrales habitudes. Sur tout cela, qu’il évoque avec une émouvante délicatesse, flotte un air de nostalgie qui ne suffit certainement pas à le ranger parmi les contempteurs du présent. On le voit, certes, réfugié dans sa vallée vosgienne quand il ne doit pas satisfaire à ses obligations parisiennes, observer avec un regret appuyé la destruction d’un cadre et d’un mode de vie. Ou, dans la posture de moraliste qu’il affectionne, avec son élégance ironique, dénoncer les ravages de l’uniformisation et de la dictature du progrès technologique. Mais sans cesser jamais de tenir pour appréciables les plaisirs divers qui s’offrent à lui. Ceux de l’esprit et des sens, d’autant plus prisés qu’il commence désormais de s’en représenter le terme. Benoît Duteurtre ainsi va et vient, entre les jours heureux d’hier et les contentements d’aujourd’hui. Construisant un roman qui exhale un charme discrètement proustien, jusque dans les musiques qui apportent au texte son tissu sonore. Façon de rendre vivable la nostalgie de ce qui s’est défait.

Jean-Claude Lebrun

 

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