« Ressourcement » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1233 du 30 octobre au 5 novembre 2020

Carte blanche

RESSOURCEMENT

PAR BENOÎT DUTEURTRE

Égaré par l’optimisme, je n’imaginais pas revenir sur l’épidémie. Mais puisque nous y voici, autant l’avouer: entre le premier confinement et le récent couvre-feu, mon cœur balance. Je me serais certes passé de l’un comme de l’autre et je ne parle ici que du quotidien – sans ignorer les épreuves médicales subies par les uns, ni les conséquences économiques endurées par beaucoup. Pour ce qui est toutefois de la vie au cœur de Paris, les premières semaines du printemps avaient quelque chose d’irréel et de fascinant: le désert des rues, l’impression de remonter le temps, la pureté de la Seine et les chants d’oiseaux. Ce n’était pas une ville normale, mais une expérience unique… Au contraire, par les temps de semi-confinement qui s’imposent avec la nouvelle vague, nous additionnons les désagréments: l’interdiction de sortir le soir mais les embouteillages organisés la journée (je n’ai jamais vu pareil chaos entre Hôtel de Ville et Châtelet); l’ouverture des restaurants pour déjeuner mais la peur de se contaminer en bavardant face à face; la possibilité de faire mes émissions de radio mais l’obligation d’être masqué au micro, ce qui n’est pas idéal; ou encore, près de chez moi, les services de réanimation toujours fermés à l’Hôtel-Dieu (où des étages entiers sont inoccupés) mais le chantier de rénovation qui a repris pour répondre aux projets immobiliers de l’AP-HP… J’en passe et des meilleurs.

Un seul avantage m’est apparu en cette rentrée: l’étrange séduction des visages masqués. Est-ce le fait de dissimuler la bouche et de concentrer l’attention sur le regard ? Je suis happé dans la rue par tous ces êtres aux yeux magnifiques. Qu’on n’y voie surtout pas l’éloge de la burka, mais c’est ainsi: nos regards sont plus beaux que nos mâchoires, telle restera ma plus agréable découverte en 2020.
Pour autant, n’ayant guère envie de m’enfermer dans les salles de spectacle ni dans les brasseries où il faut laisser son nom et son numéro, je me suis organisé pour partir à la montagne, où j’ai retrouvé, pendant quelques jours, le bonheur de vivre simplement.
J’aime le paysage étincelant des arbres d’automne, dont les feuilles pourpres se mêlent au vert des sapins. D’où cette autre réflexion que je me suis faite: même dans ce monde hyperconnecté, le fait de s’éloigner physiquement du théâtre des opérations libère nos pensées. À Paris, je reçois exactement les mêmes informations; mais les nouvelles sanitaires (ou politiques, ou autres) pèsent sur moi, m’encerclent, polarisent toute mon attention. Dès que j’arrive au village, au contraire, le rythme de la forêt, le bruit de la pluie qui tombe, le mugissement d’une tronçonneuse ou de quelques vaches, au loin, tout cela me semble soudain plus concret, plus important que la menace qui gronde. Le parfum de cette terre où je foule les feuilles mortes l’emporte sur l’angoisse sociale du coronavirus et des crimes djihadistes. En un mot, je me « ressource » au bord des ruisseaux.

Tout juste me suis-je étonné, lors d’une randonnée montagnarde, des nouvelles formes que prend le fantasme de la nature authentique. Il existe en effet, près de chez moi, un merveilleux étang forestier tenu par un barrage qui alimentait autrefois une scierie. La négligence des propriétaires a malheureusement fait tomber cette installation en désuétude; d’où la récente intervention de l’Office national des forêts et d’un cabinet d’experts chargé de trouver une solution. Or, au lieu de rénover le vieux barrage et son étang si poétique, ces derniers ont décidé de les détruire pour rendre au cours d’eau sa sauvagerie primitive, avec discours «durable » à la clé. C’est pareil dans les réserves naturelles, qui se multiplient en altitude: on ne cherche plus à entretenir un paysage à la fois naturel et humain avec ses chemins, ses repères, ses décors façonnés par des siècles d’activité pastorale. D’un côté, les villages sans paysans se transforment en dortoirs touristiques où la paysannerie achève de s’éteindre; de l’autre, on veut rendre la nature aux espèces sauvages dans des zones protégées presque inaccessibles. Ce faisant, on oublie ce qui faisait la richesse et la beauté des campagnes: ce subtil équilibre façonné par la main de l’homme, si plein d’enseignements pour nos temps difficiles.

Carte blanche précédente : « La circulation et le sens de l’histoire » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1231 du 16 au 22 octobre 2020

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Une réflexion sur “« Ressourcement » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1233 du 30 octobre au 5 novembre 2020”

  1. Benoit très taquin remue une fois de plus le couteau dans la plaie pour les parisiens privés de résidence secondaire à la campagne où seulement quelques uns ont le privilège de respirer les pesticides en dérapant sur les bouses de vache. Ils ne leur restent plus que le bois de Vincennes où l’on trouve aussi des zones protégées pour espèces animales et végétales de plus en plus nombreuses qui empiètent sur le terrain de jeux des chiens sans laisse qui vous foncent dessus comme les joggeurs et les vélos. Les promeneurs isolés, en dehors du dimanche après midi, font figure de suspects; le lieu de vie naturel de l’homme étant comme chacun sait le bureau. Une minorité courageuse déterminée de naturistes Kamikazes (bronzés du sol au plafond jusqu’aux dessous de bras dès début Avril) à qui on a concédé 7 hectares sur les mille disponible, résiste farouchement chaque été à cette déferlante de cyclojoggeurcanins sans foi ni loi autre que la sienne. Seule consolation; des chiens aventureux créent parfois la panique sur les pistes cyclables d’amateurs déguisés en vieilles majorettes qui tournent en rond du matin au soir depuis qu’on les a privés de bureau. Seules les réserves d’oiseaux clôturées arrivent à trouver la paix comme les naturistes qu’on ne devrait pas tarder non plus à clôturer vu l’ambiance générale. Voici un aperçu de ce qui reste d’accès à la verdure pour un parisien confiné. Sinon il existe une variante avec le bois de Boulogne sans naturistes, mais avec des personnes à sexe indéterminé disséminé un peu partout derrière les branches. Pour les prudes il ne reste plus guère que le parc de Sceaux, mais il faut se taper le RER si on aime pas les embouteillages dont un vrai parisien ne peut pas se passer trop longtemps depuis qu’Anne lui en a donné le goût à un point tel qu’il en a redemandé pour 8 ans.

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