« VOYAGE EN RUGÉNIE »
· UN POCHE À OUVRIR · UN ROMAN DÉCAPANT SUR NOTRE MODERNITÉ TIRAILLÉE PAR SES CONTRADICTIONS ET SES FAUX-SEMBLANTS.
CHRISTIAN AUTHIER
Alors que la plupart de nos activités sont à l’arrêt, il est particulièrement savoureux de se pencher sur le dogme de notre modernité dite progressiste: la marche en avant forcée, le mouvement perpétuel, le « bougisme ». Ainsi avec En marche!. dernier roman de Benoît Duteurtre.
Si le titre évoque un slogan familier à nos oreilles françaises, c’est à la découverte d’un petit pays d’Europe centrale que nous invite l’écrivain : la Rugénie. Cette nation (imaginaire) est une sorte de paradis sur terre. On y encourage le développement durable, la bicyclette, la défense des minorités, le recyclage des déchets, l’éradication de la consommation de viande et de tabac.
C’est au célèbre Stepan Gloss, professeur d’économie et de philosophie, conseiller influent du président, que le pays doit sa mutation selon des préceptes stricts: « la déréglementation des échanges et l’abandon de l’État-providence; mais aussi une stricte réglementation de la vie quotidienne justifiée par la lutte contre les nuisances et les impératifs du vivre-ensemble ».
Thomas, jeune député français du parti En Avant, entreprend un séjour d’observation dans cet enthousiasmant laboratoire de la modernité politique et économique. Cependant, les réalités qu’il découvre sont loin des discours officiels.
Conte philosophique
Dans le sillage du Voyage en France (prix Médicis 2001) et de L’Ordinateur du paradis, Benoît Duteurtre signe un conte philosophique évoquant autant Voltaire qu’Orwell. Si l’on rit beaucoup à la lecture d’En marche!, le rire se fige parfois en grimace.
Quant à Stepan Gloss, à l’image des patrons de la Silicon Valley, préservant leurs enfants des écrans produits par leurs entreprises, il a édifié un vaste domaine à l’écart des programmes et des normes qu’il promeut pour les autres. Ultime pied de nez de ce roman doucement subversif.
+ En marche ! de Benoît Duteurtre, Folio, 240 p., 7,50 €.
