Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, 6 juillet 2000

LE COUP DE CŒUR DE JÉRÔME GARCIN

Éloge de la vache

Chaque été, les vaches gagnent un nouveau public : celui des citadins en troupeaux qui découvrent, au milieu des champs, que le désabusement est immobile et le fatalisme, ruminant. Il paraît que ce tableau les apaise et les console. On leur conseille donc de se munir du roman de Benoît Duteurtre. C’est un joli livre, un peu naïf, un peu vert, souvent drôle et touchant. Quand il l’a écrit, Duteurtre avait 27 ans. Il n’était pas encore un Parisien branché, ni un polémiste moqueur. Il avait l’impression, dit-il, de « vivre la vieillesse de l’enfance ». Arrière-petit-fils du président René Coty, il avait grandi dans le culte d’un grand homme que l’Histoire a oublié : on pouvait donc connaître le soleil de la gloire et plonger dans les ténèbres. Afin d’échapper à un milieu conventionnel et au poids du prestigieux aïeul que la retraite avait enfermé dans un mutisme bovin, le jeune Duteurtre profitait des vacances pour s’enfuir dans une haute vallée des Vosges. Un grand-oncle, poète et pêcheur, y habitait un vieux moulin. Ce fut son Elysée. L’adolescent tourmenté y conçut une passion pour les vaches qui n’allait jamais faiblir. Pour cet héritier des grandeurs d’établissement, elles incarnaient « l’ambition brisée et la sauvagerie perdue ». Dans leur regard, il trouvait même du Pascal et poussait l’amour compassionnel jusqu’à les imiter. Il se mettait volontiers à quatre pattes, bouffait de l’herbe et beuglait. Les vaches s’en foutaient, mais le garçon y voyait un signe supplémentaire de complicité. Treize ans ont passé, le livre de Duteurtre a gardé sa fraîcheur, mais les vaches ont mal vieilli. Celles d’aujourd’hui sont plus nerveuses, plus inquiètes. Elles sont menacées par l’encéphalite spongiforme. Avec les carcasses des plus folles d’entre elles, les Anglais font même de l’électricité. Le monde est vache. Le reste est littérature.

 

Jérôme Garcin

« À propos des vaches », par Benoît Duteurtre, les Belles Lettres, 208 p., 95 F

Une réflexion sur “Jérôme Garcin, Le Nouvel Observateur, 6 juillet 2000”

  1. Hallelujah!!!

    J’ai egalement vu et ecoute dans le recueillement un billet de Benoit Duteurtre a la gloire de cet animal sacre sur une chaine TV francaise, bien inspiree ce jour-la. Je me permets humblement de vous signaler un de mes textes intitule « Tout est dans les cils », inclus dans le recueil « Amuse-gueule », publie par la « Societe des Ecrivains ».

    Sorry, mon clavier americain ne permets pas les accents.

    Paul Victor

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