Dangereusement français
Duteurtre n’est pas plus passéiste que chauvin : il regrette la France atomique et optimiste du Général.
Benoît Duteurtre est:-il réactionnaire? Polémiques, son dernier recueil d’essais mêlant politique, critique littéraire ou musicale et descriptions de nos mœurs contemporaines, ne va pas arranger son dossier. On a souvent dit de Duteurtre que c’était un pourfendeur inlassable de la modernité. Tout lecteur attentif comprend vite, pourtant, que son objet prioritaire d’irritation est une forme de néo-conformisme. On pourra objecter que notre modernité a partie liée avec cette expression élaborée de la bêtise contemporaine, mais ce genre de caricature n’est pas non plus sa tasse de thé: «Je suis un nostalgique de la modernité, amoureux des aventures, mais persuadé que l’esprit moderne doit inlassablement s’attaquer au système moderne. »
Paradoxe ? Seulement si on oublie qu’un des maîtres de Duteurtre est Marcel Aymé, le modèle même du réactionnaire nuancé dont le scepticisme sarcastique n’épargnait aucune pensée préfabriquée. En lisant Polémiques, on pense ainsi souvent au Confort intellectuel, cet essai de 1949 où Marcel Aymé dénonçait déjà les taxinomies hâtives et les étiquettes définitives.
Dans Polémiques, des choses énerveront à droite comme à gauche. Il y a cet éloge des drogues douces par celui qui fut un jeune homme romanesque des années 1980, ou encore un plaidoyer pour l’euthanasie. Cela ne l’empêche pas de se livrer à de réjouissantes « Variations sur le mariage gay», de moquer le goût d’une communauté «libérée» pour une institution typiquement bourgeoise, ou encore de critiquer notre «diplomatie du Bien », qu’il oppose à la tradition politique gaulliste, qui « n’était pas fondée sur la naïveté morale, mais sur les rapports de force». Comme quoi on peut aimer fumer un pétard et faire l’éloge de la force de frappe.
En fait, Benoît Duteurtre est dangereusement français, idée qui fait ici l’objet d’un chapitre intitulé : « Pourquoi tout le monde déteste la France ? » Aucune paranoïa ethnique chez Duteurtre, mais un constat assez lucide sur un pays dont la vocation d’universalité ne semble plus de saison à l’époque du choc programme des civilisations, de la «privatisation de l’État» et de l’Europe supranationale. Il en découle une certaine tristesse calme à constater que la France, outre une sale manie pour la repentance, devient une manière de parc à thèmes à forte valeur ajoutée touristique et un musée de clichés dont nous ne serions plus que les gardiens inquiets et désabusés.