Benoît Duteurtre, Livre pour adultes, Marie Chaudey, La Vie, 17 novembre 2016

Portrait
D’un écrivain inclassable
Benoît Duteurtre - Livre pour adultes -Photo Stéphane Remael - La VieBenoît Duteurtre

Il sort un roman au titre facétieux – Livre pour adultes – mais qui ne contient guère de coquineries érotiques. Et c’est tout lui. L’éternel jeune homme, dont le visage garde un je-ne-sais quoi d’adolescence, s’est vu rattrapé par les choses que l’on doit supporter quand on devient grand. C’est arrivé pour lui à la cinquantaine. Mêlant récit autobiographique et courtes fictions, Benoît Duteurtre raconte ce basculement face à l’épreuve de la lente maladie puis de la mort d’une mère : un choc émotionnel, intellectuel aussi, la prise de conscience d’une « injustice fondamentale » au regard de ce qu’avait été la vie de cette femme, parangon d’altruisme et d’optimisme.

À sa manière toujours pudique et élégante. l’écrivain dit le passage des générations et le vieillissement, la disparition des êtres et des choses. Son Livre pour adultes est donc avant tout le roman de la maturité, que l’écrivain nous offre sans se départir pourtant de la légèreté qui a fait sa marque, même si elle prend ici une autre couleur, plus mélancolique. Mais qu’il décrive un service de gériatrie ou une ferme vosgienne, la critique sociale n’est jamais loin chez Duteurtre. Et la comédie reprend vite le dessus dès qu’il passe à la fiction. Car l’impertinence est pour l’écrivain une seconde nature : « J’aime la satire, l’humour et la comédie sociale, qui permettent de dire le ridicule de l’époque. » Une tradition de l’esprit français, de Molière à Feydeau, sans parler des surréalistes et autres dadaïstes, ses maîtres en provocation. Car son sport favori consiste à pointer les contradictions de la modernité, à dénoncer le «bougisme », à dézinguer les donneurs de leçon de tout poil. Il a su ainsi se faire beaucoup d’ennemis, de tous bords… En 1995, son Requiem pour une avant-garde, qui visait l’absolutisme institutionnel du compositeur et chef d’orchestre Pierre Boulez, lui a valu une réputation de « révisionniste » contre laquelle il continue de s’insurger. Il exècre les dogmes, est tout aussi capable de railler l’embourgeoisement du mariage gay dans Libération que d’asticoter dans Le Point ceux qu’obsède la montée des périls. Il se veut iconoclaste et inclassable.

Colonisé par une falaise de CD. un piano et des livres(dont la première édition de la Comédie humaine, de Balzac, reliée cuir s’étirant sur une étagère, un cadeau de son amie la chanteuse presque centenaire Suzy Delair…), son chaleureux petit appartement de l’île de la Cité, fait face à l’Hôtel-Dieu, dont il se réjouit d’apercevoir le personnel médical venir griller une cigarette à la pause. L’écrivain n’en peste pas moins contre cette « annexe d’Eurodisney » qu’est devenue son quartier et la « touristification » d’un monde enlaidi par les bazars de pacotille. Arrimé au cœur de Paris et de sa culture (avec une prédilection pour les années 1850-1950, des impressionnistes à Édith Piaf), Duteurtre garde en parallèle un attachement viscéral à la province. En témoigne dans son salon une marine d’Henri de Saint-Delis, peintre de l’École du Havre,

Un nostalgique sans étiquette

disciple d’Albert Marquet, qui rappelle une enfance du côté de Sainte-Adresse. Sans oublier le beau portrait au regard triste d’un jeune homme d’autrefois, frère de René Coty-président de la IV République et arrière grand-père du romancier. En écrivant les Pieds dans l’eau (2008) sur le rituel estival très codifié des bains de mer à Étretat, Benoît Duteurtre avait rendu hommage à cette lignée de bourgeois catholiques de gauche, avocats, médecins et députés du pays de Caux, dont il s’est distingué pour vivre ses deux passions: la musique et la littérature.

Mais il existe pour l’écrivain une province autant chérie et bien éloignée de la Normandie : les Vosges, cet « autre monde » qui abrite le village où Benoît passait ses vacances d’enfant, allait chercher avec un bidon le lait encore chaud dans les fermes des cousins côté maternel, s’enivrait de l’odeur du bois coupé à la scierie, du bruit de sucre broyé que faisait la neige sous ses pas en hiver. Ce monde rural aujourd’hui englouti, il l’a vu s’effacer sous ses yeux le temps d’un demi-siècle et en tire des pages d’une beauté déchirante. « La nostalgie est un fruit délicieux », ose affirmer l’écrivain à contre-courant. Et le lecteur d’en partager volontiers la saveur avec lui.

Marie Chaudey
Benoît Duteurtre, Livre pour adultes, Marie Chaudey, La Vie, 17 novembre 2016
Photo Stéphane Remael

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