BENOÎT DUTEURTRE CROQUEUR DE NOSTALGIE
Tout est bon dans le Duteurtre, et, pour cette rentrée littéraire, l’écrivain a généreusement décidé de donner un peu de ses meilleurs morceaux : en un seul livre, le lecteur trouvera le Duteurtre nouvelliste (avec une tendance gentiment fantastique à la Marcel Aymé), le Duteurtre essayiste démontant avec clarté les absurdités du monde contemporain (agriculture à la peine, invasion des marques dans le paysage urbain, de Venise à la Conciergerie, hygiénisme délirant, obsession des normes en tout genre…) et le Duteurtre autobiographique, toujours magistral.
Le patchwork des genres déroute au premier abord, puis séduit: c’est un homme en entier qu’on découvre. Dans les passages autobiographiques (majoritaires), il se livre comme jamais. Evoquant sa mère – fil rouge de ce livre – atteinte de la maladie d’Alzheimer, ses visites à la veuve de Darius Milhaud, son propre compagnon, ses vacances à la campagne, Duteurtre est l’un des rares auteurs qui n’ennuie jamais en racontant sa vie. Parce qu’il a une tendresse infinie pour ce qu’il décrit, parce qu’il ne connait pas l’ironie, parce que son style impeccable reste toujours modeste dans sa superbe, il parvient sans cesse à émouvoir avec des petits riens. Le chapitre sur les Vosges de son enfance est l’un des sommets de ce nouveau livre : l’auteur y parle des paysans et de la ruralité comme personne, écrivant des scènes incroyables comme celle où un gaillard du cru, luttant contre l’alcoolisme, plonge sa tête dans un ruisseau glacé jusqu’à en mourir d’asphyxie.
Le titre de ce nouveau « roman », Livre pour adultes, est trompeur : nulle grivoiserie dans ces pages, mais une sorte d’avertissement à ses lecteurs. C’est bien un livre pour les adultes, seuls capables de comprendre cette phrase résumant très bien 239 pages : « Toute notre vie est ainsi jalonnée par les extinctions d’êtres, d’objets, d’habitudes, comme autant de petits mondes qui s’éteignent pour toujours. » Ces extinctions, Duteurtre les consigne avec une grâce infinie. «La nostalgie est un fruit délicieux », dit-il ailleurs : ce fruit-là n’est pas défendu.
N.U.
Livre pour adultes, Gallimard, 239 p. 19,50 €.