Paris – Extraits du nouveau livre de Benoît Duteurtre : « Les Dents de la maire » – mercredi 15 janvier 2020 – LE FIGARO

CHAMPS LIBRE DÉBATS

Benoît Duteurtre : «Le martyre des Parisiens sous Anne Hidalgo »

BONNES FEUILLES

A soixante jours des élections municipales, voilà un livre de salut public, Dans Les Dents de la maire. Souffrances d’un piéton de Paris (Fayard), l’écrivain Benoît Duteurtre confronte le discours officiel d’Anne Hidalgo, mettant en avant ses bonnes intentions, à la pénible réalité quotidienne des Parisiens. Sans jamais abandonner son flegme et son humour, l’auteur écarte les slogans pour considérer les faits, qui sont cruels. Au fil de ce récit alerte, l’homme de lettres dépeint notre capitale comme un chef-d’oeuvre en voie d’être mutilé, dénature et vidé d’une partie de sa substance. A chaque page le lecteur oscille entre le sourire et la rage. Le Figaro publie, en exclusivité, de larges extraits de l’ouvrage de Benoît Duteurtre. Un livre dont la lecture est indispensable pour tout Parisien inquiet de l’enlaidissement de sa ville.

LE PIÉTON, BÊTE TRAQUÉE

(…) tournant au coin pour aller faire quelques courses, j’ai manqué de me faire renverser par une trottinette qui, sur ma droite, arrivait à toute vitesse dans un silence absolu. Dressé devant son guidon, casque sur les oreilles, le pilote semblait indifférent aux passants, ou trouvait amusant de les frôler en les évitant de peu. Il était déjà loin quand j’ai dressé le poing en criant : – Goujat! Ne savez-vous pas que c’est interdit sur les trottoirs ? Je commençais à me calmer et reprenais mon chemin quand un coup de sonnette m’a fait sursauter sur ma gauche. Un cycliste qui déboulait m’a jeté un regard furieux en jurant à son tour : – Attention, connard, c’est une piste cyclable! Comme toute personne interpellée de la sorte, j’ai commencé par lui renvoyer son insulte avant de m’aviser que j’avais bien, effectivement, posé un pied sur cette piste, difficile à distinguer de la chaussée comme du trottoir. J’ai donc ravalé ma colère et poursuivi mon chemin en songeant que de nouveaux réflexes viendraient avec l’habitude. Au carrefour suivant, dressant la tête vers un panneau d’affichage, j’ai pu lire ce slogan qui venait de s’inscrire en lettres lumineuses : « Paris favorise les circulations douces » (…) Longtemps j’avais cru que la voiture seule, pour de mystérieuses raisons, transformait son conducteur en barbare. Sitôt au volant, et doué de certains pouvoirs, il n’hésitait plus à klaxonner pour chasser le piéton égaré ni à insulter l’automobiliste adverse. (…) Même des individus parfaitement éduqués deviennent au volant ces bêtes sauvages réduisant tout à un rapport de force primaire. La politique parisienne en faveur des deux roues m’a toutefois démontré, en peu de temps, que ces traits de caractère ne sont en rien l’apanage des propriétaires de voitures, mais touchent dans des proportions égales tout détenteur d’un véhicule prêt à faire valoir sa supériorité, sa domination ou son mépris envers ceux qui se déplacent moins vite que lui. (…) le deux-roues s’est arrogé d’emblée tous les droits dans un parfait mépris pour le code de la route ou la tranquillité du piéton. Il circule indifféremment sur la chaussée ou sur le trottoir, dans le bon sens ou à contresens, sur les passages protégés comme aux feux rouges, orange ou verts. (…) Il cause pourtant des accidents qui ont fini par convaincre la municipalité d’ériger un code de bonne conduite assorti de contraventions. Mais les forces de l’ordre se chargent rarement de le verbaliser. Promptes à boucler des quartiers entiers pour des raisons de sécurité, elles ont disparu du trottoir parisien et ne se consacrent plus guère à ce simple contrôle des bonnes règles de la vie urbaine qu’assuraient autrefois les contractuels », Elles laissent régner la loi du plus fort- en l’occurrence du plus rapide (…) de nouvelles espèces conquérantes prolifèrent et incarnent cet ordre nouveau qui sème la terreur à trottinette.

LA POLLUTION ? PIRE QUE JAMAIS!

Sur les quais de la Seine et boulevard Saint-Germain, dans le quartier Saint Michel comme près de l’Hôtel de ville, les voitures avancent comme elles peuvent et les autobus s’immobilisent dans les carrefours congestionnés. Soumis aux émanations d’hydrocarbures, les piétons tâchent de se frayer un chemin sur les passages protégés. L’air empeste, la semaine comme le week-end. Objectif proclamé de la mairie, la réduction du nombre de véhicules se voit annulée par la lenteur de la circulation qui augmente la diffusion de substances nocives. Des analyses effectuées sur les quais ont souligné cette dégradation de la qualité de l’air après la fermeture de la voie Georges Pompidou : plus de 50% d’augmentation des émissions d’azote et de particules fines près du pont Sully et quai de la Mégisserie. (…) Dimanche comme semaine, été comme hiver, la paix des bords de Seine n’est plus qu’un souvenir. Petits joyaux de poésie parisienne, les boîtes des bouquinistes dépérissent dans les gaz d’échappement, et les tagueurs se chargent de les achever.

UN BRUIT TRÈS OPPRESSANT

Les véhicules de secours et fourgonnettes de police, coincés comme les autres dans les embouteillages, usent vainement de leurs sirènes pour se frayer un passage, quand ils passaient autrefois par les voies sur berge. Selon les mesures de la Préfecture de police, le bruit a augmenté de 100% sur les quais hauts de la Seine, (…) la chasse aux fameuses microparticules » (émanant des bus touristiques et des poids lourds bien plus que de la voiture individuelle) induit des effets secondaires tout aussi dangereux, comme ce vacarme lié aux sirènes, aux deux-roues motorisés ou aux marteaux-piqueurs qui, à longueur d’année, refaçonnent les chaussées, creusent des trous, les rebouchent et les creusent à nouveau pour toute sorte de raisons (gaz, électricité, câblage, chauffage). (…) Les chantiers bruyants ne s’interrompent jamais, qu’il s’agisse de défoncer les chaussées pour rénover les réseaux, de ravaler les monuments pour les adapter aux impératifs touristiques, de refaire les bâtiments pour diminuer leur empreinte carbone, tout en laissant se multiplier les nids-de-poule dans les rues jonchées d’ordures (…) pour le grand bonheur de nos amis les rats. (Pour couronner le tout), la gauche municipale a rejoint le camp du spectacle sportif et les préparatifs des Jeux olympiques de 2024 contribueront, pendant les prochaines années, à pourrir davantage la vie des Parisiens.

LA LAIDEUR DU NOUVEAU MOBILIER URBAIN

L’équipe municipale ne dédaigne plus les attributs du pouvoir, mais elle conserve une vieille méfiance pour l’architecture bourgeoise comme pour les détails de son mobilier urbain trop soigné: ses bancs publics, ses colonnes Morris, ses kiosques et ses squares (…) ils ne veulent pas seulement préserver le décor, ce qui les réduirait au rôle d’agents d’entretien de l’héritage bourgeois. Ils veulent montrer qu’ils existent, comme ces metteurs en scène d’opéra toujours pressés d’ajouter quelque chose sans rapport avec le sujet. Ils veulent répondre comme des enfants jaloux à Haussmann et à ses successeurs : Nous aussi, on est capables ! Et c’est là qu’interviennent ces créateurs, qu’on pourrait faire travailler dans les quartiers en friche, mais qu’on invite plutôt à dégrader le merveilleux décor urbain en s’y opposant. (…) comme Alphonse Allais qui voulait rebâtir les villes à la campagne, elle (Anne Hidalgo) rêve d’implanter la friche en ville, à l’instar de ces poutres sommaires devant l’Hôtel de Ville, de ces rochers au Panthéon, ou de ces tables de pique-nique à l’ombre de la Madeleine, tout juste dignes d’une aire d’autoroute.

CE PATRIMOINE MASSACRE

La culture au sens patrimonial est toujours jugée un peu trop coûteuse – quand la mairie regarde si peu à la dépense pour nous imposer sa vision de l’avenir. Les églises parisiennes souffrent d’un manque chronique d’entretien et plusieurs théâtres de quartier, créés sous l’ère chiraquienne, se sont transformés en centres d’animation au détriment de programmations plus ambitieuses. Cette évolution touche le Châtelet lui-même, temple du divertissement musical. (…) De tels désagréments quotidiens, la verte et vertueuse mairie de Paris ne semble guère se préoccuper – pas plus qu’elle ne s’est inquiétée des platanes centenaires qu’elle a fait abattre quelques mois plus tôt place de la Nation en vue de la piétonisation du quartier ; ni des soixante grands arbres (dont un remarquable cèdre de l’Himalaya) arrachés dans le quartier Bel-Air du même 12e arrondissement afin de bâtir de nouveaux immeubles, ni de la destruction de la moitié des Serres d’Auteuil imposée par l’extension des courts de Roland-Garros.

TOUT POUR LES TOURISTES

Les quartiers historiques se sont transformés en parcs touristiques envahis d’autocars polluants qui ont paralysé la ville. Pour les groupes traversant Paris au pas de charge, on a vu se multiplier les marchands de souvenirs et la mise en scène d’un décor de pacotille, jusque dans les nouveaux kiosques à journaux – aux allures de boites en plastique vaguement haussmanniennes. (…) Sur l’île de la Cité). la charcuterie, l’opticien, la pharmacie, la banque ont fermé l’un après l’autre leurs portes pour faire place aux boutiques de souvenirs, à L’Occitane et à Solaris. Ultime survivante, la marchande de journaux a vendu en 2018 sa vieille boutique pleine d’images pieuses, ultime témoignage du temps ou Notre-Dame était un lieu de pèlerinage plutôt qu’une étape entre la tour Eiffel et Eurodisney. Son fonds de commerce a été racheté par Häagen-Dazs. Entre temps, les cafés du quartier (longtemps fréquentés par le personnel de l’Hôtel Dieu) et le cabaret de la Colombe (où avait débuté Guy Béart) se sont déguisés en restaurants faussement typiques avec nappes à carreaux rouges et cartes en anglais. (…) Puis ce fut l’arrivée des VTC, vélotaxis et autobus à étages proposant la traversée commentée de Paris. Dans leur sillage, des accordéonistes roumains ont commencé à jouer à longueur de journée La Vie en rose et Mon amant de Saint-Jean devant des Japonais extasiés, sûrs d’avoir retrouvé le Paris d’Edith Piaf.

OCCUPER LE TEMPS DE CERVEAU DISPONIBLE DES PARISIENS

Les autorités adorent offrir tout au long de l’année cette activité festive qui leur tient lieu de politique «citoyenne». Sur la place de grève, où l’on pendait autrefois les malheureux, c’est une succession ininterrompue de rendez-vous à consonance anglophone : Innovation Day, sommet – ties for Life, brunch anti-gaspi, Jan zones sportives et, pour couronner le tout, dans la chaleur de juillet, le festival Fnac Live Paris qui transforme le parvis en Woodstock municipal sans aucun égard pour les riverains. (…) Je redoute plus que tout les festivités qui se succèdent sur ce parvis, avec leurs enceintes monstrueuses censées témoigner du bonheur collectif, mais qui imposent au quartier le harcèlement des basses et des batteries. (…) L’homo festivus, si bien décrit par Philippe Muray, ne fait que gagner du terrain et triomphe dans les défilés sonores, parrainés par la municipalité, de la Gay Pride à la Techno Parade en passant par le Carnaval tropical, qui seraient autant de moments conviviaux – quand bien même les bistrots et commerçants situés sur les itinéraires ferment boutique, ces jours-là, pour éviter les déprédations et autres immondices que les travailleurs immigrés ramassent en fin de cortège.

HIDALGO: LA PARADE DE LA VERTU

Elle s’est rangée sur beaucoup de points, elle privatise à tout va et fait porter son parapluie par un fonctionnaire lorsqu’elle se déplace avec la reine d’Angleterre (qui porte elle-même le sien). Mais elle garde son ardeur de jeunesse pour dénoncer l’ennemi embusqué, réac, sexiste, pollueur, et je sens que ma présence à Paris lui déplaît – bien que je ne sois qu’un humble piéton sans voiture. J’ai eu le tort de m’exprimer publiquement sur ses méfaits. Elle veut que je me soumette ou que je m’en aille(…) Pour caractériser ce nouveau modèle parisien, on pourrait parler de ville propagande : une cité qui, par delà ses missions traditionnelles consistant à faciliter, organiser, gérer la vie des concitoyens, se voit désormais comme un instrument de communication au service de la vertu. (…) une vertu en accord avec cette époque où chacun doit montrer qu’il défend la planète, la transparence, le mouvement, la fête, les droits de l’homme et, simultanément, combat les stéréotypes de genre, le nationalisme, le populisme, etc. Cet affichage constitue désormais le cœur de l’action municipale dont l’élue twitte à longueur de temps et arpente le terrain au rythme des selfies, telle une grande prêtresse du progrès, adoubée par les citoyens en fonction de ces messages autant que de son action sur le terrain. (…) Ainsi va la Ville propagande, parfaite illustration de ce que Guy Debord désignait comme la société du spectacle, ou seul compte le message, tel un voile jeté sur la vie concrète. (…) N’allez toutefois pas dire à Anne Hidalgo qu’elle fait fausse route. Elle vous regarderait de son œil noir, puis ricanerait avec mépris, comme chaque fois que l’opposition s’exprime. Car cette femme ne doute pas. Elle possède l’assurance propre à son camp, toujours persuadé d’incarner la justice et les valeurs morales, quand ses adversaires ne seraient guidés que par l’égoïsme et l’intérêt. Ceux qui ne pensent pas comme elle sont des ennemis de la démocratie.

EXTRAITS CHOISIS ET PRÉSENTÉS PAR GUILLAUME PERRAULT

Les dents de la maire. Souffrances d’un piéton de Paris Benoît Duteurtre

FAYARD 192 P. 18€ En librairie ce mercredi

Une réflexion sur “Paris – Extraits du nouveau livre de Benoît Duteurtre : « Les Dents de la maire » – mercredi 15 janvier 2020 – LE FIGARO”

  1. Monsieur Duteurtre, merci. J’étais lectrice assidue de vos livres, me voici devenue fan, je dirais presque inconditionnelle mais non, ce terme est trop vilain. Merci, donc, de mettre en forme, de façon littéraire, avec élégance, mes propres souffrances de piétonne arrachée au plaisir innocent de la promenade, pour être quotidiennement molestée par la mobilité douce, déclinaison du non moins menteur vivre ensemble, avortons de la double pensée orwellienne. Merci d’arracher le voile et de dévoiler l’horreur qu’il recouvre. Celle d’un monde dysneyworldisé, muséographisé, scénarisé, parcasterixisé, constellé de poubelles de tri sélectif elles mêmes entourées de détritus divers.

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