Benoît Duteurtre, Ballets roses, Le Monde, 04 juin 2009

Benoît Duteurtre, Ballets roses : les dessous de mai 1958 Livre de Benoît DuteurtreLivres
« Ballets roses », de Benoît Duteurtre : c’était au temps des « ballets roses »
Benoît Duteurtre a enquêté sur un scandale des années 1950.

 

Benoît Duteurtre a la nostalgie chevillée au corps. Après s’être plongé Les Pieds dans l’eau (Gallimard, 2008) dans la France des années 1960, le romancier remonte le temps pour nous immerger dans les années 1950. Une époque charnière qui vit le retour de De Gaulle, en 1958, et fut marquée par le scandale des « ballets roses ».

Si l’expression est passée dans le langage courant, rares sont ceux qui se souviennent des faits et surtout des protagonistes (23 inculpés). A commencer par celui sans qui cette affaire de mœurs n’aurait pas pris toute son ampleur : André Le Troquer. Enfant de l’école laïque (il est né en 1884), militant socialiste, combattant de 1914 plusieurs fois médaillé et blessé (il en gardera une main invalide), député de la Seine, avocat de Blum lors du procès de Riom en 1942, représentant de la Résistance socialiste à Alger, cet homme ambitieux, complexe et autoritaire avait entretenu des relations difficiles avec de Gaulle. Dans le privé, il connut une vie passablement chaotique. Bien que marié, cet amateur d’opéra ne se départit jamais de son goût pour les maisons closes, les parties fines, les femmes légères. Après le suicide de son épouse, il eut pour compagnes deux aventurières demi-mondaines, dont la singulière comtesse Pinajeff, qui comparaîtra à son côté. On doit notamment à cette ex-actrice de cinéma reconvertie dans la peinture un portrait de Mme Coty que possède son arrière-petit-fils, Benoît Duteurtre.

« En m’intéressant à cet épisode des « ballets roses », écrit d’ailleurs celui-ci, j’ai eu l’impression de suivre un itinéraire à la fois historique, anecdotique et personnel, jusqu’à ce moment du XXe siècle où se croisent trois figures : le héros légendaire (de Gaulle), le bourgeois modéré (René Coty), l’ambitieux humilié (André Le Troquer). »

Un ambitieux dont il retrace avec force détails le parcours jusqu’à sa chute, en 1959. Arrêté pour détournement de mineures à la suite de Jean Merlu, l’entremetteur avec lequel il est lié, André Le Troquer ne cessera de clamer son innocence et de crier au complot gaulliste, thèse que rejette Duteurtre. Il sera condamné à un an de prison avec sursis avant de mourir dans la déchéance, en 1963.

Si l’écrivain ne s’appesantit guère sur les détails de l’affaire, c’est pour mieux concentrer son talent sur la reconstitution d’une époque qu’il dépeint dans toutes ses dimensions, sociale, politique et médiatique. Ainsi l’expression « ballet rose », née sous la plume d’un journaliste de France Soir, dit assez le ton « mi-réprobateur, mi-goguenard » qui entoura le scandale. Ce faisant, Duteurtre opère des parallèles intéressants avec quelques affaires contemporaines, notamment celles de Toulouse ou d’Outreau.

C’est là, sans doute, que réside la force de cette enquête en miroir, aussi passionnante que dérangeante : dans ce qu’elle dit de notre époque, où les mœurs se sont émancipées mais où le joug de la psychologie et les terreurs de l’opinion publique, notamment son obsession de la pédophilie, conduisent aujourd’hui à d’autres égarements…

 

Ballets Roses de Benoît Duteurtre. Grasset, « Ceci n’est pas un fait divers », 244 p., 17 €.

 

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