Benoît Duteurtre, « En Marche ! », Christian Authier, le Figaro magazine, 26-27 octobre 2018

Benoît Duteurtre - En marche !, photo Laura Stevens, le Figaro magazine, 26-27 octobre 2018EN VUE
Benoît Duteurtre
Le mécontemporain capital

 

Dans son nouveau roman, cet écrivain majeur réunit pour la première fois la variété de ses inspirations. Et s’interroge sur ce que devient notre « cher vieux pays »…

Le titre du dernier roman de Benoît Duteurtre ne doit pas être pris au pied de la lettre. En marche !, sous-titré « conte philosophique », n’est pas directement une satire grinçante – genre dans lequel il excelle – de la France sous le règne de notre jupitérien président. D’ailleurs, en épousant le goût du paradoxe cher à Duteurtre, on pourrait lui trouver quelques points communs avec le chef des « marcheurs » apôtre du « ni droite ni gauche ». En effet, l’écrivain serait de « drauche ». Avec la gauche, du moins celle d’avant 1983, il partage le souci de la justice sociale ou l’attachement aux services publics. Avec la droite, celle qui va de René Coty (son arrière-grand-père) à de Gaulle, il cultive une méfiance envers le culte du progrès et un penchant pour la nostalgie. Tout cela s’est brouillé et Duteurtre se fait l’observateur amusé de ces mouvements à fronts renversés. En témoignait son drôlatique roman Le Retour du Général où il imaginait que l’homme du 18 juin revenait de nos jours pour lancer un soulèvement contre la mondialisation libérale

Plutôt que défier des tyrannies éteintes, l’écrivain décrit sans indulgence les temps où nous sommes. A une époque façonnée par l’obsession du changement, il oppose les seules questions qui vaillent. Qu’a-t-on perdu ? Que perd-on ? Qu’est-ce qui est beau et qui est en train de disparaître pour toujours ? Interrogations dérangeantes pour un présent qui demande d’abord à être juge sur des promesses d’avenir plutôt que sur ses résultats concrets. « II est possible que je m’attache trop à des plaisirs disparus, voire à l’idée que certaines choses étaient « mieux avant ». Je n’ai pourtant rien contre la notion de progrès et je suppose que notre époque en apporte beaucoup », expliquait-il dans Pourquoi je préfère rester chez moi. Évidemment, ces subtilités ne sont pas du goût de tous. En 1995, son Requiem pour une avant-garde lui valut d’être taxe de « révisionnisme » et d’être comparé à Robert Faurisson par Le Monde. Guy Scarpetta dans Art Press le rangea parmi les « nouveaux réactionnaires » bien avant que Daniel Lindenberg popularise cette tunique d’infamie. De bonnes fées se penchèrent néanmoins sur le jeune Duteurtre : Samuel Beckett, Guy Debord, Milan Kundera, Michel Déon… Le prix Médicis couronna Le Voyage en France en 2001. Depuis 1985 et son premier roman Sommeil perdu, il a construit une œuvre riche d’une trentaine de titres d’inspirations variées. II y a le Duteurtre des champs et de la province (A propos des vaches ou l’Été 76), le Duteurtre des villes (Gaieté parisienne ou A nous deux Paris !, également évocations du « gay Paris »), l’amoureux d’opérette et de musique – celle de Ravel et de Messiaen, de Barry White et des Stones. Chez lui l’autobiographie se mêle a la pure fiction, au conte, à l’anticipation, à l’uchronie, sans jamais négliger le rire et la fantaisie mâtinés d’un tintement de cloche fêlée propre aux mélancoliques.

Son nouveau roman, aussi drôle qu’inquiétant, réunit pour le meilleur toutes les facettes de son univers. Dans En marche !, on suit Thomas, jeune députe français, en voyage en Rugénie, pays imaginaire des Balkans qui a un air de France La petite nation se veut écologique, protectrice des diversités, probusiness, ouverte, mais elle se révèle un enfer pour notre Candide marcheur. A l’instar d’un Michel Houellebecq, d’un François Taillandier ou d’un Philippe Muray, écrivains qu’il a côtoyés dans la revue L’ Atelier du roman, Benoît Duteurtre, par le subtil balancement d’attraction et de répulsion que lui inspirent les temps modernes, est l’un de nos mécontemporains capitaux.

Christian Authier

En Marche ! Conte philosophique, Gallimard , 215 p, 18,50€

Benoît Duteurtre - En marche !, Christian Authier, le Figaro magazine, 26-27 octobre 2018

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