Benoît Duteurtre, « À propos des vaches », Mohammed Aïssaoui, Le Figaro, 08 mars 2007

Vaches, varans, chats, chiens et autres bêtes à plume

 

BONJOUR veaux, vaches, cochons. Les voici sujets d’une thèse développée par le romancier Benoît Duteurtre : « C’est ma théorie fondamentale ! », dit-il en souriant. L’auteur de Chemins de fer s’insurge que les ruminants soient déconsidérés. Il a écrit deux livres, Les Vaches (un roman chez Calmann-Lévy) et À propos des vaches (Les Belles Lettres), dans lequel ce passionné de Buffon explique sa « doctrine » sous le terme de « littérature de basse-cour » – une dizaine de pages de haute volée où il appuie son argumentation sur Nietzsche et Proust. Selon lui, aux textes des grands sentiments – ceux de la tragédie, de Racine et d’Hugo – il faut opposer une autre lignée qui vient du Roman de Renart, des Fables de la Fontaine, et qui se prolonge dans les romans de Balzac, Maupassant ou Aymé. « L’étude des basses-cours constitue l’une des grandes affaires de la littérature. Assez éloignée des élans lyriques, assez indifférente aux alchimies du langage, elle s’applique à saisir une émotion plus volatile, liée au jeu des êtres vivants, à la bizarrerie des corps, à leur confrontation dans le théâtre quotidien. » Cette théorie aurait intéressé Joël Dehasse, vétérinaire psy, spécialisé dans les interactions entre l’animal et son maître. Pour ce médecin, auteur de Mon animal a-t-il besoin d’un psy ? et Tout sur la psychologie du chat (chez Odile Jacob), « l’animal que l’on choisit joue un effet miroir. D’ailleurs, il exprime souvent les sentiments du maître ». D’où ce cliché tant répandu représentant l’homme de lettres, un chat à ses côtés. « Depuis le XVIIIe siècle, il est un symbole fort d’indépendance et de liberté. Comme l’écrivain, le chat est isolé mais pas seul », souligne Joël Dehasse.
Ce n’est pas Frédéric Vitoux qui le contredira. « La solitude et le silence du chat s’accordent à merveille avec la vie de l’écrivain », affirme l’académicien, qui voue un véritable culte à ces bêtes. Il prépare d’ailleurs un Dictionnaire amoureux des chats et publiera bientôt Un carnet du Louvre consacré au chat. « C’est l’animal le plus zen… et qui pousse à écrire ! », dit-il. Et de développer ce propos intrigant : « Le chat a le chic pour se coucher sur votre manuscrit, si vous n’avez pas la force de le repousser, de lui dire»laisse-moi continuer à travailler* c’est que vous n’avez pas suffisamment de raisons d’écrire ! » Si Frédéric Vitoux a rédigé l’une des meilleures biographies de Céline, il a aussi écrit un récit relatant la vie de Bébert, le chat de l’auteur du Voyage. En racontant Bébert – présent dans pas moins de trois romans : D’un château l’autre, Nord et Rigodon – qui a suivi son maître dans sa fuite en Allemagne et dans son exil danois, c’est toujours Céline que l’on révèle. Encore l’effet miroir…
François Nourissier, lui, a un faible – c’est peu dire – pour les chiens en lesquels il trouve de merveilleux compagnons de travail. « J’aimerais être réincarné en chien chez les Nourissier : ce serait la belle vie », raconte l’écrivain en souriant ; il aurait même choisi sa maison dans le ­XVIe arrondissement pour le bien-être de ses bêtes. Il les aime tellement qu’il n’a pas hésité à écrire une Lettre à mon chien – 200 pages tout de même. On susurre que ce membre influent de l’académie Goncourt aurait soutenu Michel Houellebecq (maître de Clément), par solidarité canine. « Je trouve que Houellebecq a un bon rapport avec eux, il y a trouvé une certaine douceur. Et puis, il n’arrête pas de chercher à»refiler* des chiens à des amis », estime François Nourissier.
Le cheval se situe dans le trio de tête
Dans la hiérarchie des bêtes à plumitifs, le cheval figure sans conteste dans le tiercé de tête. On connaît Jérôme Garcin autant pour son talent de critique et d’écrivain que pour son allure chevaleresque : il a souvent lié les deux. Christophe Donner crée lui aussi une oeuvre littéraire et équestre. « Ce sont les courses de chevaux qui me passionnent, le mélange du pari et de l’animal, l’alliance du vice et de la vertu. » Le paradoxe, c’est que perdre oblige Christophe Donner à écrire. Autrement dit, s’il avait empoché de coquettes sommes, c’eût été fini de la littérature. Heureusement, pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, l’infortuné turfiste prépare la biographie d’un entraîneur de chevaux et publie en septembre prochain Un roi sans lendemain (Grasset) consacré à Louis XVII : « J’ai appris que Marie-Antoinette avait introduit les courses en France. »
Des chats, des chiens et des chevaux : ils font partie de l’univers des hommes de lettres, comme de ceux des Français. Mais certains écrivains se singularisent.
Que penser de François Bizot, l’auteur du Portail, qui apprivoisa un couple de varans – des grands lézards pouvant atteindre plus de deux mètres de long -, en 1969 au Cambodge ? « Cette passion pour les lézards remonte à presque cinquante ans, quand j’étais en Algérie. » Pourquoi cette drôle de bête, qui fournit le cadre de son dernier roman Le Saut du varan (Flammarion) ? « Les animaux qui vivent en couple me font craquer. Ensuite le varan est un dragon au coeur tendre, il est maladroit. Il saute sur place devant le danger – comme l’autruche se cache pour ne pas voir. Ses gesticulations inutiles nous le rendent proche : elles ressemblent à celles de l’homme sur terre. » L’écrivain et ethnologue, qui a toujours vécu avec des animaux (en particulier le boxer), considère cette relation comme essentielle, y compris pour sa création littéraire : « L’intimité tendre et silencieuse qu’on partage avec un animal développe des états d’être particuliers, active des liens que les hommes ont laissés se sécher. Sa présence nous emplit d’une sensibilité accrue, qui met en contact avec les choses. »
Dernière étape du bestiaire : ce sont les papillons qui fascinent l’écrivain Robert de Goulaine. Il n’hésite pas à se définir comme un « montreur de papillons vivants ». Il faut dire que c’est une activité connue du monde entier – on vient du Japon pour visiter sa volière située dans son château de Loire-Atlantique. Cette passion l’aide aussi dans son travail d’écriture. Ami et voisin de Julien Gracq, il faut entendre parler Robert de Goulaine. Ses paroles sonnent comme des poèmes. « Les papillons sont des fleurs qui volent », explique-t-il. Pour lui, il y a forcément un lien entre l’insecte et les lettres : « Il faut retrouver dans le style ce chatoiement et cette légèreté qui sont ceux du papillon. Ils sont le symbole de l’âme, un mélange d’éternité et de brièveté. »

Mohammed Aïssaoui

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