Benoît Duteurtre, L’été 76, Edmonde Charles-Roux, La Provence, 5 juin 2011

Une curieuse mélancolie

 

Dans L’Été 76, Benoît Duteurtre raconte les années où ses passions sont nées

Dans son Été 76, ce roman de formation, Benoît Duteurtre, l’auteur-narrateur qui a raconté son enfance dans un roman paru en 2008 sous le titre Les pieds dans l’eau, fixe les moments clés de sa vie, la période ou, entre 14 et 17 ans, s’étaient précises son destin, ses goûts, ses passions. II le fait avec beaucoup de charme et beaucoup de talent. Et le narrateur de préciser :  » J’étais un petit chrétien de gauche, un apprenti hippie aux cheveux trop longs, mais l’écrivais des poèmes, je jouais de la musique et je croyais que l’Art était la chose la plus importante du monde. « 

A 14 ans, alors que le narrateur se préparait a entrer en seconde avec un an d’avance, il fut l’objet d’un brusque changement. Marqué par une éducation mi-catholique, mi-socialiste, que lui dispensaient ses parents, l’adolescent s’était vu retirer du lycée du Havre – le plus ancien établissement scolaire du Havre celui ou avant la guerre Sartre et Raymond Aron avaient enseigne la philosophie – il se trouvait place dans un établissement privé, Saint-Joseph, « Saint-Jo » pour les élèves. De grandes surprises l’attendaient : »Certains professeurs avaient les cheveux longs, les élèves grillaient des cigarettes dans la cour ou au foyer , quelques amoureux se bécotaient a l’entrée près des mobylettes  » et enfin, surprise des surprises, l’école était mixte. On ne s’attendait pas a ce que l’émancipation des mœurs de l’après-Mai 68 se soit introduite dans  » Saint-Jo » et cela en une période ou la religion traditionnelle était balayée par une doctrine égalitariste « qui faisait de Jésus-Christ un ancêtre direct de Karl Marx ». Le jeune Benoît triste et furieux accepta le choix de son père et toujours à « Saint-Jo », il donna l’impression d’avoir choisi une route tranquille conduisant a une profession solide qui avait était celle de son grand-père et de son père médecins. II n’en fut rien. Sa rencontre avec Hélène, une adolescente de 16 ans, allait tout changer. II l’avait remarquée dans une cour de lycée pendant une récréation. Elle lisait ostensiblement Bakhoumne Quelques jours plus tard, Benoît la revoyait à nouveau au centre d’un groupe de lycéens. Elle était emportée dans une discussion passionnée. Quelques semaines plus tard, Benoît rejoignait le groupe d’Hélène. Cette pasionaria exprimait « quelque chose de fâche, d’ardent, et de combatif ». Elle dirigeait désormais les lectures de Benoît qui le constatait en ces termes : « Une jeune fille de province inspirait mon ambition littéraire, stimulait mes progrès sur la ligne révolutionnaire et me laissait redouter la perspective d’une exclusion si je me montrais décevant ».

C’était clair, Benoît avouait une activité révolutionnaire. Lorsque, prenant son courage a deux mains, Benoît annonça a toute sa famille réunie qu’il n’entrerait pas en faculté de Médecine, qu’il renonçait à préparer des études médicales car il comptait entreprendre des études de musicologie. Le coup fut rude Aux yeux de la bonne société havraise, la musicologie ne pouvait en aucune manière être prise pour un métier. C’était pourtant une décision définitive de Benoît. II voulait être « un artiste vivant au cœur des arts », sans pour autant renoncer a l’écriture. Ces années décisives dans la vie d’un adolescent s’inscrivaient sur la toile de fond en béton armé du Havre reconstruit par Auguste Perret. La ville figure aujourd’hui au patrimoine mondial de l’Unesco. La lecture D’Été 76 s’impose. Elle éveille chez le lecteur une très curieuse mélancolie. À ne pas manquer la visite du narrateur chez Armand Salacrou, président de l’Académie Concourt et plus célèbre écrivain du Havre Un morceau d’anthologie.

Edmonde Charles-Roux de l’Académie Goncourt

« l’Été 76 », * « Les pieds dans l’eau » 186 pages 17,50€

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