Bienvenue en Rugénie
**** À propos des romans satiriques de Benoît Duteurtre (photo), on a souvent invoqué les manes de Marcel Aymé. Mais c’est à celles de Voltaire qu’est dédié ce conte philosophique décapant. A l’occasion d’un voyage d’étude, Thomas, député trentenaire plein d’allant, s’en va découvrir le meilleur des mondes possibles, la Rugénie. Récemment débarrassée du joug moldave, la jeune République d’Europe de l’Est offre l’image d’une société ouverte à l’écologie et à la diversité. Hélas, il y a quelque chose de pourri dans ce modèle rugène inspiré des thèses de l’économiste Stéphan Gloss (référence au Pangloss de Candide). Le périple de Thomas se révèle un chemin de croix. Les rues sont impraticables, les immondices s’y entassent. La capitale rejette ses pollutions dans les banlieues. Mélanie, une jeune femme en fauteuil roulant, ouvre les yeux du héros sur la réalité d’un pays surendetté, grevé par le chômage, détruit par le commerce en ligne. La Rugénie concentre toutes les contradictions de notre époque. L’auteur éprouve une jubilation contagieuse à en stigmatiser les tares. Féroce, cette fable dénonce la tyrannie du Bien dans sa capacité à produire certaines formes d’oppression. D’un pessimisme joyeux.
Claire Julliard