Benoît Duteurtre, Ballets Roses, Liger Baptiste, L’Express, 01 avril 2009

critique
Ballets roses et liaisons dangereuses

 

Autour d’un fait divers, Benoît Duteurtre signe un livre passionnant sur la vieillesse, le sexe et les médias.
Que signifie vraiment l’expression «ballets roses»? Qu’entend-on derrière cette «association de mots qui conjugue le raffinement chorégraphique à la couleur des petites filles, dans une suggestion implicitement sexuelle»? Fréquemment utilisée pour désigner d’obscures affaires de pédophilie, cette formule a été pour la première fois prononcée par le journaliste de France-Soir Georges Gherra, à l’occasion d’un fait divers qui défraya la chronique à la fin des années 1950. Un ex-flic – appelé ici Jean Merlu – s’était fait la spécialité d’organiser, pour la grande bourgeoisie parisienne, des orgies – ou, tout du moins, des spectacles érotiques – avec des mineures. Lorsque le pot aux roses fut découvert, on nota – stupeur! – parmi les inculpés le nom d’un célèbre politicien français, André Le Troquer. Député socialiste de Paris en 1936, cet avocat (qui défendit Léon Blum en 1942) semblait pourtant au-dessus de tout soupçon. Résistant proche du général de Gaulle, il occupa, au début de la IVe République, le poste de ministre de l’Intérieur, puis siégea à la tête de l’Assemblée. Le Troquer présidait d’ailleurs le Congrès lorsque René Coty fut élu, non sans rebondissements, à la tête de L’État. Cette proximité n’échappa pas à Benoît Duteurtre, arrière-petit-fils du président de la République (réputé pour être un modèle de vertu!). 

L’auteur du Voyage en France (prix Médicis 2001) ne se contente toutefois pas, avec ces passionnants Ballets roses, de signer une enquête, rétablissant au passage nombre de vérités plus ou moins occultées. Il décrit avec minutie l’ascension et la chute d’un homme à la vie privée dissolue, dépassé par les événements. Pour autant, Duteurtre n’en fait jamais la caricature d’un dangereux satyre cacochyme, regardant sa maîtresse palper une adolescente et s’adonnant au plaisir avec sa main gauche (il avait perdu l’autre lors de la guerre de 1914)… Aussi, ces Ballets roses brossent le portrait au vitriol d’une époque pré-68 et décortiquent les mécanismes d’un engrenage médiatico-politique, où la presse frôle la paranoïa et où le conflit de classes n’est jamais loin. Et, sans trop en dire, lorsque dans le dernier quart du livre Benoît Duteurtre rencontre, aujourd’hui, le dénommé Jean Merlu, l’écrivain nous prouve qu’on ne passe pas comme ça un coup de balai (de ballet?) sur le passé…

 

Liger Baptiste

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