Benoît Duteurtre, Livre pour adultes, Jérôme Garcin, La Provence, 13 novembre 2016

Benoît Duteurtre, Livre pour adulte, Jérôme Garcin, La Provence, 13 novembre 2016Benoît Duteurtre par lui-même
L’humeur de Jérôme Garcin

 

Si vous ne connaissez pas encore Benoît Duteurtre, si vous ne l’avez jamais lu, alors découvrez-le enfin avec ce formidable Livre pour adultes, qui montre l’étendue de ses dons et résume parfaitement le romancier du Voyage en France (prix Médicis 2001), le mémorialiste de L’Eté 76, le polémiste de Requiem pour une avant-garde, l’amateur de l’opérette, des vaches et des buffets de gare à l’ancienne. En fait de roman, un genre qu’il bouscule et réinvente, il s’agit d’un recueil gigogne de souvenirs, de nouvelles, d’essais, de récits et de pamphlets. Au fil des textes, Duteurtre, né en 1960, compose un étonnant et très juste autoportrait. Né en Haute-Normandie, arrière-petit-fils du président René Coty, il a grandi à cheval entre le pays de Caux et les Vosges, a fait des études de musicologie et ses débuts littéraires sous de grands auspices (Beckett puis Sollers publient en revues ses premiers textes, Muray et Kundera saluent ses romans), et donné une œuvre qui oscille sans cesse entre la mélancolie (Les pieds dans l’eau) et la critique acerbe des temps modernes (Service clientèle), entre le devoir de mémoire et la condamnation amusée de l’idée de progrès, quand elle est dévoyée.
Tout cela, le style en plus – un style alerte, à la fois raffiné et canaille -, on le retrouve dans ce Livre pour adultes. Duteurtre se promène sur la plage d’Etretat, où de vieilles familles bourgeoises essaient de prolonger des privilèges révolus, et se réfugie dans le chalet d’un village vosgien où il compte bien reposer avec Victor, son ami de cœur et de corps (« J’aimerais que nous restions côte à côte, parce que nous avons besoin l’un de l’autre et que nous ne sommes pas sûrs de nous retrouver ailleurs, dans cette vie éternelle qu’on nous a promise »). Il rend une dernière visite, près de Pigalle, à la veuve joyeuse de Darius Milhaud et dit adieu, dans des pages poignantes, à sa mère, qui était si rieuse et fut emportée par la maladie d’Alzheimer. Il se souvient aussi de Suzy Delair et de Patachou. Il nous présente les derniers villageois des hautes Vosges, mais aussi Charles, un avocat qui se met en congé du barreau pour se consacrer à la musicologie, mais fait la guerre chaque jour à un saxophoniste qui joue Bach et Chopin sur le trottoir, en bas de chez lui. Il est aussi à l’aise dans les grandes salles de concert viennoises que dans les vieilles fermes, où les vaches dorment sous le grenier à foin. Il dresse méthodiquement la liste, plus ou moins coupable, de ses plaisirs et de ses envies, de la tartine du matin aux cigarettes de la journée, des alcools forts au cannabis…
C’est rare, dans un même livre, de réussir à être si fantaisiste dans le chagrin et si nostalgique dans la félicité. Il faut voir, dans cette qualité, la marque singulière de Benoît Duteurtre. Il le confesse d’ailleurs : « J’aime la drôlerie des choses que je m’efforce de restituer d’un livre à l’autre, même pour évoquer un monde désenchanté. ‘Mieux vaut en rire’, semble répéter ma mère au coin de mon oreille… »
Ce romancier-là est donc un moraliste. Mais un moraliste gai, genre Cioran au music-hall.

J.G.

« Livre pour adultes« , de Benoît Duteurtre, Gallimard, 244 pages, 19,50€

 

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