« Madame 18 % » – Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1217 du 10 au 16 Juillet 2020

Carte blanche

« MADAME 18% »

PAR BENOÎT DUTEURTRE

Ça me pendait au nez. À force de ferrailler contre Anne Hidalgo et sa politique, de déplorer la condition du piéton, la dureté des circulations douces et la dégradation réelle de l’environnement parisien… je suis apparu ce dimanche 28 juin comme un perdant ! Désavoué par les urnes qui propulsaient ma bête noire aux commandes de la capitale pour six nouvelles années ! « Six years ! », comme a tweeté son premier adjoint Emmanuel Grégoire, sans que je comprenne pourquoi il s’exprimait en anglais. Dans le même temps, sur ma boîte, des messages de condoléances s’accumulaient, certains amis s’avouant désolés pour moi, comme si je venais d’essuyer une défaite personnelle.

De fait, je suis un habitué des batailles perdues. J’ai remarqué que mes combats échouent presque toujours : la défense des petites lignes de chemins de fer et des trains de nuit, celle de l’opérette et de la musique française, la légalisation des drogues douces, la lutte contre l’invasion de l’anglais, une politique étrangère affranchie de l’Otan… Je pourrais prolonger la liste et conclure que je suis un baromètre négatif: si je me mobilise pour une cause, c’est qu’elle sera battue aux prochaines échéances. Le mouvement de l’époque est à l’opposé de mes convictions ! Cette fois-ci pourtant, malgré la compassion qui m’entourait, je n’ai pas éprouvé de sentiment d’échec. Non seulement parce que Anne Hidalgo a bénéficié d’un concours de circonstances extraordinaire (la catastrophe Buzyn, le rejet d’une Dati trop marquée par la Sarkozie, la crise sanitaire, la complaisance des médias). Mais surtout parce qu’il suffit de sortir une calculette pour lire les chiffres autrement. En tenant compte des abstentions, il apparaît ainsi que les voix de la majorité municipale représentent moins de 18 % du corps électoral: 17,8 % exactement. Quand bien même c’est une réélection légitime, nous voici très loin d’une approbation. Moins de un Parisien sur cinq a exprimé son soutien à cette équipe et à ses projets. Ils étaient près du double six ans plus tôt. Un nombre équivalent a voté contre, et plus de 60 % des électeurs sont restés hors du jeu, comme s’ils savaient que leurs voix ne seraient pas prises en compte.

On les comprend en songeant aux méthodes de Madame 18 %, qui aime communiquer à coups de mesures brutales répondant aux vœux d’une minorité agissante, et les imposer à tous comme si de tels actes assuraient le sauvetage de la planète, la gloire de Paris et le bonheur de la population. Après son premier mandat, ce fut la fermeture soudaine des voies sur berge, plongeant dans l’épreuve des dizaines de milliers de Franciliens et aggravant la pollution sous prétexte de la diminuer. Désormais, c’est la folie totalitaire du vélo, l’installation de hideux murets jaunes qui défigurent les boulevards déjà fort amochés par la multiplication de couloirs. Cette soumission à des enjeux prétendument « vertueux »a si bien fonctionné que Buzyn et Dati se sont crues obligées de les reprendre à leur compte au lieu de contester des mesures qui défigurent et déséquilibrent Paris, sa vie et son commerce… tout comme les éoliennes allemandes, au nom de la même idéologie, défigurent notre pays – celui d’Europe qui contribue le moins au réchauffement climatique.

Il se dit que l’épidémie de Covid, le calme des rues pendant le confinement, la pureté de la Seine et le chant des oiseaux ont renforcé le sentiment que la politique verte était la meilleure. Sauf que, après ce printemps irréel, une tout autre écologie a repris le dessus dès le mois de juin avec ses caractéristiques aggravées par la municipalité: agressivité des deux roues, sirènes hurlantes des véhicules de secours coincés dans les embouteillages, qui ont fait de Paris, officiellement, la capitale la plus polluée. Quelle réussite au bout de six ans ! J’émets donc le vœu que Madame 18 %, au lieu de multiplier les coups pour son noyau d’électeurs, mette à profit ce second mandat pour s’intéresser aux 82 % de dissidents: qu’elle apprenne la modestie, se défie des lobbies qui l’influencent, oublie les « villes monde » et les ambitions nationales pour devenir enfin maire; bref, qu’elle administre Paris avec délicatesse en tenant compte de l’histoire, des spécificités de la vie urbaine et du réel bien être des habitants. Mais puisque j’émets ce vœu… il adviendra probablement le contraire!


Carte blanche précédente : « Honte et fierté françaises » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1215 du 26 juin au 2 juillet 2020

Carte blanche suivante : « Macron, du car au train » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1219 du 24 au 30 juillet 2020

Une réflexion sur “« Madame 18 % » – Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1217 du 10 au 16 Juillet 2020”

  1. Alors qu’il suffirait d’ouvrir la Seine aux pédalos pour désengorger Paris, et aménager une seconde piste cyclable réservée aux filles et LGBT, avec une cloison étanche à l’abri des regards, surtout durant les canicules pour les raisons qu’on imagine, au risque de faire des bouchons. Si Rachida y avait pensé plus tôt, on en serait pas là aujourd’hui à consoler Benoit. Rien « d’excessif » comme dirait Claude car moins onéreux que de pousser la gare de l’Est de Benjamin chez les pauvres qu’il a du rejoindre depuis. Il pourrait nous donner de ses nouvelles ou au moins nous envoyer une vidéo.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.