Benoît Duteurtre, L’été 76, Éric de Bellefroid, La Libre Belgique, 26 avril 2011

Chauds émois de l’été 76

 

Après Le retour du Général, Benoît Duteurtre revient à soi avec virtuosité dans L’été 76.

 

On était peu avant le torride été 76. L’excellent Benoît Duteurtre (20 mars 1960) y retourne en un roman autobiographique. Racontant les joies candides et les spleens langoureux d’une adolescence provinciale, qui n’avait pas eu vingt ans en 68. Le Havre, qui avait beau être la première ville de Normandie, portait les immenses balafres de la guerre qu’une nouvelle prospérité portuaire, jusqu’à la crise planétaire de 1973, n’avait pas eu le don d’effacer. Lors pourtant qu’il avait enfanté Boudin, Monet, Dufy ou Braque, et Raymond Queneau aussi.

Enfant d’une bourgeoisie progressiste, nourri jusque-là de Giono (Que ma joie demeure), de Verlaine ou du Zarathoustra de Nietzsche – si même il n’y entendait pas une ligne -, le lycéen est soudain subjugué par une jeune fille de 17 ans, qui lit Bakounine avec des yeux graves et le détourne irrésistiblement des petits cénacles ricanants des boutonneux de son espèce.

Loin encore du frisson érotique, Hélène l’initie aux enjeux révolutionnaires d’un monde en proie au doute. « Parce que, en 1975, l’idée du progrès infini subsistait comme le mythe dominant, mais que le thème de la crise et du déclin se faisait chaque jour plus présent, annonçant ce dépérissement de la modernité entrevu déjà par quelques esprits avisés. » Giscard, d’ailleurs, venait de désarmer le paquebot « France », amer symbole des premières désillusions de cette fin de siècle.

Rongé par le complexe de la province, si éloignée de Sartre, de Beauvoir et du tumulte vibrionnant de Saint-Germain-des-Prés, le jeune narrateur confesse tous les narcissismes et les vanités de la France locale. Galvanisé entre autres par le rock furieux de ces années-là, avec quelques interludes « gymnopédiques » du Honfleurien Erik Satie, son imaginaire remonte la Seine en courant, car c’est à Paris qu’est la vraie vie, berceau des modes esthétiques et politiques, de la littérature et de la philosophie.

C’est une fresque sur l’adolescence en couleur que nous peint le musicologue Duteurtre – critique musical au magazine Marianne. Tableau d’un âge empreint d’amour et de poésie, un âge qui en ce temps-là avait la fougue de refuser d’être considéré comme une génération sui generis. C’était avant que la « culture jeune » de notre époque, récupération sans pitié de Mai et du mouvement hippie, ne fige l’adolescent en position commerciale de cœur de cible. Comme si le jeune actuel, étranger aux débats d’alors, avait pris la mesure de la « fin des idéologies ». Il n’en reste pas moins un brûlant parfum de nostalgie.

Eric de Bellefroid

L’été 76 Benoît Duteurtre I Gallimard /187 pp., env. 17,50 €

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