Gaieté parisienne de Benoît Duteurtre par Pierre Maury dans Le Magazine Littéraire n° 343 en mai 1996

Les lumières de la ville

Nicolas est un rêveur nostalgique. Journaliste chargé par le ministre de la Culture d’être un agitateur d’idées a l’intérieur d’une revue intitulée Anti-Pouvoirs, il se sent devenir vieux. Le monde autour de lui change, les portes des boîtes à la mode ne s’ouvrent plus aussi facilement, le genre d’hommes qu’il aime – les jeunes mâles normaux, pas ceux qui affichent leur homosexualité dans le comportement – ne répond guère à ses sollicitations… Il est vrai qu’il a plus de trente ans, qu’il semble qu’on devienne vieux de plus en plus tôt et que l’univers de la nuit, où les corps se frôlent, parait réservé à un âge moins mûr. Bref, Nicolas ne va pas trop bien et erre dans sa vie comme dans la ville.

La ville, Paris, est peut-être bien le personnage principal du cinquième roman de Benoît Duteurtre. Un personnage monstrueux et fascinant, dont certains aspects ne changent pas, mais qui subit par ailleurs de profonds bouleversements dont chaque promenade permet d’enregistrer évolution. Au début du livre, Nicolas marche sur les berges de la Seine. À la fin aussi, comme si rien ne s’était passé. Pourtant, le cœur a été touché entre-temps.

Nicolas a en effet rencontré Julien, un jeune étudiant en gestion, qui maîtrise le jargon de son domaine avec une facilité déconcertante pour celui qui n’y connaît rien. Julien est sur un autre territoire, incompréhensible pour Nicolas. La fascination est cependant la plus forte, et l’attirance se manifeste, avec les risques de blessures que cela comporte. Car le jeu de la séduction se déroule selon des règles sans cesse modifiées, et celui qui est désiré est en bonne position pour faire souffrir l’ autre. Encore faut-il savoir s’il s’agit de vraies blessures ou d’égratignures, si ce sont les sentiments profonds ou l’amour-propre qui sont touchés.

Car Nicolas s’observe avec un brin de complaisance, posant au martyr avec une facilité suspecte. Parfois, un peu d’ironie vis-à-vis de lui-même sauve la situation, mais il parvient assez rarement a ce détachement. Le personnage est complexe, sa personnalité se précise progressivement au fur et à mesure qu’il agit.

Benoît Duteurtre donne donc un portrait de jeune homme – ou au moins d’homme jeune, quoi que celui-ci en pense – moderne dans une cité post-moderne. Et l’on constate qu’il n’est pas indispensable de trouver Nicolas complètement sympathique pour s’attacher à lui. Même ses contradictions sont intéressantes et, au fond, toute son agitation n’est peut-être qu’une tentative désespérée pour se trouver lui-même, dans sa vérité et non plus dans les artifices de l’apparence.

En outre, Gaîté parisienne bénéficie d’une écriture comme dessinée à la pointe sèche, avec de temps à autre des ruptures de rythme qui ravivent l’attention et obligent à rester au plus près d’un texte séduisant.

Pierre Maury

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