Benoît Duteurtre, Le voyage en France, Pierre Kyria, Le Monde des Livres,19 octobre 2001

Les vagabondages illusoires
Les aventures croisées d’un Américain et d’un Français en quête de nouveaux horizons

 

David, un jeune Américain, part pour la France, un pays qu’il idéalise d’autant qu’il est le fils naturel d’un Français disparu avant sa naissance. Débarqué au Havre, il se lance sur les traces de Claude Monet pour retrouver le lieu où il peignit un tableau qui le fascine, Le Jardin à Sainte-Adresse, et, mal compris, il se retrouve dans une sinistre ZUP qui porte le nom du peintre, avant de découvrir que la propriété n’existe plus et qu’à son emplacement un prétendu artiste, affublé d’une barbe postiche, singe le maître de l’impressionnisme. Auparavant, il a enregistré avec effarement les manifestations de l’ american way of life, casquettes de base-ball,  » bombers « , chaussures  » Sport Like  » et l’épique débat public entre le gérant d’un  » Mackburger  » et celui d’un  » Grignotin « , défenseur de l’exception culinaire française…  » Vivre en France ? Laisse béton « , lui a soufflé un jeune beur dès son arrivée.
D’emblée, Le Voyage en France s’inscrit dans une perspective satirique. Les aventures de ce nouveau Candide vont ainsi l’entraîner dans le sillage d’une incroyable cabotine mythomane qu’il avait contactée par e-mail d’outre-Atlantique – personnage le plus savoureux de l’ouvrage – jusqu’aux plateaux télé et à un monastère où il se plie aux extases mystico-amoureuses d’un apprenti séminariste.
Parallèlement, on partage les émois et les déconvenues d’un Français quadragénaire dépressif, rédacteur d’un mensuel gratuit distribué dans les taxis, qui a longtemps rêvé d’Amérique et qui va passer d’une liaison avec une protectrice envahissante de son âge à un emballement décevant pour une jeune  » vidéaste  » qui le fichera, sur écran, au nombre de ses amants. L’Américain et le Français se rencontreront, échangeront réflexions et désillusions avant de gagner New York, où ils iront admirer, au Metropolitan Museum, la célèbre œuvre de Monet. Le Français y voit le symbole d’une continuité :  » Voilà pourquoi je me sens tellement bien à New York; parce que cette peinture conservée ici comme la fierté de l’espèce humaine, cette peinture fut peinte sur cette plage où j’ai marché. Parce qu’un siècle plus tard j’ai fui Le Havre en rêvant de suivre le chemin des artistes.  » Quant à l’Américain, conscient que le monde qu’il aimait a disparu, il concède que, dans le  » bordel américain « ,  » une histoire plus fruste mais désormais plus vivante que celle des vieilles civilisations  » se dessine. Conclusion ?  » Nos vraies histoires ressemblent à celles que nous rêvons. « 
Benoît Duteurtre a morcelé son histoire en séquences plus ou moins rapides mais sur des registres différents : réalisme, observation aiguë et narquoise des mœurs ambiantes – le mieux venu -, affabulation délirante, fantaisie, confidences – autobiographiques ? -, loufoquerie… Les  » choses vues  » interfèrent dans des visions déconcertantes où l’auteur accorde toute latitude à une imagination cocasse. Le roman zigzague ainsi beaucoup trop pour être entièrement convaincant. Le parallélisme ironique entre deux modes de culture, deux façons d’appréhender le monde chez les protagonistes, qui semble être l’intention de départ, se perd ainsi dans des saynètes trop  » forcées  » ou des échappées guignolesques. Le parti pris de facétie et les trouvailles sentimentalo-burlesques ne séduisent et divertissent que lorsque l’auteur suit sa ligne de fond. C’est elle que l’on retiendra comme agrément de lecture.

Pierre Kyria

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.