Frédéric Beigbeder à propos de Gaieté parisienne de Benoît Duteurtre dans Elle du 5 Février 1996

Benoît Duteurtre est l’écrivain à la mode. C’est comme ça. Hier, c’était un autre, aujourd’hui c’est lui. Son nouveau roman confirme qu’il sait épingler notre époque comme personne. Après  » Tout doit disparaître « , et  » Requiem pour une avant-garde « , le jeune musicologue enfonce encore le clou. Il semble obsédé par l’idée que nous vivons sous la dictature du n’importe quoi, dans une époque où l’on est à la fois libre et prisonnier, où toute subversion est devenue impossible puisque récupérée.

Ainsi Nicolas, le journaliste rémunéré par le ministère de la Culture pour diriger la revue  » Anti-Pouvoirs  » Il voudrait être homosexuel sans devenir militant gay. Il ne comprend pas pourquoi l’amour entre hommes devrait suivre des rites différents des amours hétérosexuelles. Au fond, il a raison: c’est exactement comme s’il couchait avec des femmes. Duteurtre s’attaque au milieu gay avec le même détachement que Modiano quand il refuse poliment d’être juré du Goncourt. Sa cruauté reste toujours tendre, comme celle d’un ethnologue ou d un entomologiste: il est le Lévi-Strauss du Queen, le Nabokov d’Act-Up. Pauvre Duteurtre ! Cela doit parfois être dur de tant détester le monde dans lequel on est né, et de sentir qu’on meurt à petit feu d’une overdose de normalité. Mais soyons égoïstes: tant mieux s’il va mal, si cela le pousse à bien écrire.

Frédéric Beigbeder

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