Société – Benoît Duteurtre: «Le cycliste n’admet aucune loi» – Le Figaro du 23 décembre 2019

PROPOS RECUEILLIS PAR GUILLAUME PERRAULT  @GullPerrault

LE PIÉTON parisien est une espèce menacée, s’inquiète l’écrivain*.

LE FIGARO.- La municipalité parisienne a voulu développer les vélos. Que pensez-vous des expressions chères à la mairie: «mobilités douces », « partage de l’espace urbain » ?

Benoît DUTEURTRE. – Tout à l’heure, sur les quais, je traversais un passage protégé quand un cycliste a déboulé à toute vitesse, grillant le feu rouge au risque de me renverser. Spontanément, j’ai crié: «Le feu!»; ce qui m’a valu en retour un méprisant: «Ta gueule!». Il était déjà loin… Ce genre de situation quotidienne souligne l’extraordinaire incivilité de nombreux cyclistes, en contradiction avec le slogan municipal des « mobilités douces ». J’avais longtemps cru qu’une telle mauvaise foi assortie d’insultes était l’apanage des automobilistes. On sait désormais qu’un individu à vélo se comporte de la même manière vis-à-vis des plus fragiles, en l’occurrence les piétons. Nous qui aimons marcher sommes survivants d’un autre monde. Nous avions un accord tacite avec les voitures, chacun disposant de son territoire – la chaussée, le trottoir – un peu comme les gaullistes et les communistes sous les Trente Glorieuses! Nous voilà désormais encerclés par les deux-roues, les vélos, les trottinettes, les rollers et même les joggeurs. Pis encore: le cycliste n’admet aucune loi. Il passe où il veut, sur la piste ou sur le trottoir, sur la chaussée à contresens ou sur le passage clouté. Et qu’on ne s’avise pas de lui faire une remarque, puisque les médias, les pouvoirs – et en premier lieu la mairie de Paris – ne cessent de lui répéter qu’il incarne le bien et qu’il va sauver la planète…

Le piéton parisien est-il vraiment la proie des deux-roues qui lui disputent le trottoir?

A certains endroits, par exemple cours la Reine, les trottoirs ont été réduits de moitié pour faire passer une piste cyclable. On doit marcher sur une bande très étroite, en faisant attention à ne pas empiéter sur la voie des vélos dont la sonnette retentit à la moindre erreur. Ailleurs, les stations de vélibs réduisent encore l’espace déjà resserré par les « potelets » de stationnement qui faisaient dire à Cioran: «Le plus grand événement de la seconde moitié du XXe siècle, c’est la disparition des trottoirs ».

Nous qui aimons marcher sommes survivants d’un autre monde

BENOIT DUTEURTRE

 

Mais le piéton de Paris est aussi victime des travaux déments qui ont caractérisé le mandat d’Anne Hidalgo. Après la fermeture des voies sur berge rive droite, les quais supérieurs et les grands axes comme la rue de Rivoli ou le boulevard Saint-Germain se sont transformés en enfer. Partout, des chantiers ont aggravé le bruit, les embouteillages, la pollution, et réduit le plaisir de se promener. On nous assure que c’est pour la bonne cause et qu’à terme les Parisiens qui aiment le vélo circuleront mieux, tandis que la ville deviendra vraiment plus douce. C’est un peu comme l’horizon radieux des systèmes totalitaires qui justifie tout mais s’éloigne sans cesse.

De même, l’idéal écologiste a entraîné quantité de nuisances peu écologiques. Voilà six ans qu’on nous inflige le chaos pour bâtir un Paris vertueux, adapté aux deux-roues. Sauf que six ans, c’est beaucoup dans une vie! Tout va se calmer pendant la campagne électorale, puis les chantiers reprendront à l’approche des JO de 2024 qui se traduiront par des bouclages de quartiers, des animations de masse et de nouveaux désagréments pour qui aime déambuler librement en ville!

Le sentiment d’ensauvagement qu’éprouve le piéton parisien ne semble pas se constater dans des grandes villes d’Europe du Nord où le vélo est roi…

La permanente référence à l’Europe du Nord devient lassante. La France n’est pas un pays scandinave mais un pays latin à l’histoire très singulière. Et Paris n’est pas une ville-banlieue comme La Haye ou ces cités bataves qui s’étalent à l’infini. Outre son relief beaucoup plus marqué, c’est une ville très dense, comme Manhattan ou d’autres grands centres urbains. Elle bénéficie d’un extraordinaire réseau de transport en commun, de larges avenues adaptées à la circulation moderne: bref, c’est une ville pour se déplacer à pied, en métro, en autobus, en voiture… et pourquoi pas à vélo. Aujourd’hui, pourtant, on détruit l’allure même des grands boulevards pour donner à la bicyclette une priorité sur tout. Et, tandis que la rue se divise en multiples voies réservées, on voit s’accroître un «communautarisme » de la circulation où chaque tribu s’oppose aux autres dans un même ressentiment: vélos contre piétons, trottinettes contre taxis, joggeurs contre promeneurs… Nous voici loin du radieux «partage de l’espace urbain».

*A paraître : «Les Dents de la maire – Souffrances d’un piéton de Paris » (Fayard).

 

Une réflexion sur “Société – Benoît Duteurtre: «Le cycliste n’admet aucune loi» – Le Figaro du 23 décembre 2019”

  1. Cela fait longtemps deja que le plaisir de marcher sur le trottoir a ete tue. On se sent sur une autre planete, fini les enfants qui marchent en compagnie de leurs parents. Desormais il faut savourer

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