Entretien de Benoît Duteurtre dans Le Figaro n°23849 du samedi 24 et dimanche 25 avril 2021

samedi 24 – dimanche 25 avril 2021 LE FIGARO
DÉBATS
ENTRETIEN

 

BENOÎT DUTEURTRE L’enlaidissement de Paris saute aux yeux malgré les dénégations et les vitupérations d’Anne Hidalgo face aux critiques, constate l’écrivain. grand amoureux de la capitale*

« La mairie détruit l’harmonie de Paris pour imposer ses lubies »

PROPOS RECUEILLIS PAR EUGÉNIE BASTIÉ

Eugénie Bastié

LE FIGARO. – À la faveur d’un mot-dièse lancé sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes se sont mis à dénoncer, photos à l’appui, un « saccage de Paris ». Que vous inspire ce mouvement de protestation? Benoît DUTEURTRE. – Peu avant de découvrir ce «hashtag », je descendais en taxi l’avenue de l’Opéra presque déserte et, soudain, dans une vision d’horreur, j’ai observé ces alignements de plots en plastique jaune et ces blocs de béton déployés sur toute la chaussée pour délimiter les « coronapistes » presque désertes. Était-ce une ville du tiers-monde ou une cité en guerre couverte de blockhaus et de fortifications sommaires ? Cet élégant boulevard, entre l’Opéra et l’Hôtel du Louvre semblait effectivement «saccagé », comme si la mairie, au nom de la vertu, avait réussi à détruire l’harmonie que chacun admire à Paris. Comment des élus peuvent-ils accomplir impunément un tel massacre ? C’est pareil dans mon quartier, de la rue Beaubourg à la rue Saint-Jacques, en passant par les ponts, où le même programme de vandalisation recourt aux moyens les plus grossiers pour imposer ses urgences vertueuses. Je n’ai donc pas été surpris en découvrant le succès de ce mot-dièse qui épingle les immondices déployées par la mairie sous prétexte de renouveler l’espace urbain : rues défigurées, mais aussi jardinets citoyens jonchés d’ordures, déchetteries hideuses, prolifération de chantiers abandonnés au milieu d’une forêt de barrières qui empoisonnent la vie des citadins.

La mairie de Paris a axé sa réponse à ces reproches sur la propreté plutôt que sur l’enlaidissement de la capitale. Cet enlaidissement est-il selon vous mesurable ? Anne Hidalgo ne cherche jamais la subtilité, qui lui semble étrangère, mais elle oppose ses réponses mécaniques à la moindre critique. Quand les automobilistes qui ont besoin de travailler se sont plaints de voir leurs déplacements chamboulés par la fermeture brutale des voies sur berge, elle dénonçait déjà un « lobby réactionnaire ». Et, quand les Parisiens se plaignent de la saleté, c’est encore « l’extrême droite ». Elle pense n’avoir fait qu’embellir Paris et cite la rénovation de la Bourse de commerce transformée par le groupe Pinault en galerie branchée. Mais dehors, dans la rue, dans la vie quotidienne, elle ne peut admettre qu’il y ait un réel problème puisqu’elle a été réélue… grâce à un concours de circonstances extraordinaire et à une abstention massive (moins d’un électeur parisien inscrit sur cinq a voté pour elle au second tour!). L’autre réponse de la ville consiste toutefois à faire semblant de ne pas entendre et à déplacer le débat, comme si, effectivement, la seule question était celle de la propreté et du manque de moyens. Or ce mouvement d’indignation, abondamment illustré sur Twitter, a bien montré que, si la saleté de la capitale est consternante, ce sont aussi les aménagements volontaires et ruineux de la municipalité qui posent problème, avec leur mélange de lubies idéologiques et d’absence totale de sens esthétique : la transformation de la voirie, qui complique les déplacements, conduisant à multiplier sur la chaussée une signalisation obscène, les gadgets écolos, comme les urinoirs responsables, ou certaines oeuvres d’art censées renouveler le patrimoine à grand renfort de matériaux bruts (pour le côté écolo) ou de matière plastique aux couleurs criardes.

Qu’est-ce qui vous choque le plus dans l’état actuel de la ville ? J’ai souvent l’impression que cette mairie n’aime pas le style parisien, peut être en vertu de vieux schémas politiques ancrés chez les socialistes comme chez les Verts : Haussmann, c’est le second Empire honni, la bourgeoisie triomphante et son mobilier urbain, ses squares, ses parterres fleuris… Ce mobilier est donc une cible de la municipalité. Pour marquer son empreinte progressiste sur un décor jugé conformiste, elle installe des poutres de chantier plutôt que des bancs publics devant l’Hôtel de ville ou aménage de grossières clôtures en bois autour des arbres pour remplacer les grilles de trottoir et inciter les citoyens à planter des choux. Ces innovations prétendument vertes, pas dignes d’une grand-mère écolobaba d’East Village, donnent à certains coins de Paris un furieux air de ZAD. Mais, plus profondément, cette volonté de repenser l’espace est destructrice quand on pourrait se contenter, dans beaucoup de quartiers, d’entretenir cette merveille d’équilibre qu’est l’urbanisme parisien hérité du XIXe siècle et toujours adapté à la vie moderne. Je n’ai qu’à regarder les berges de la Seine près de chez moi : la partie soi disant « libérée » des voitures, puis réaménagée par la ville, s’est transformée en parc de sport et de loisirs sans poésie, fiévreusement sillonné par les deux-roues et les joggeurs. Le vrai Paris est en face, sur ces vieilles berges libres qui n’ont jamais cessé d’exister et où les habitants aiment flâner ou prendre un rayon de soleil.

La municipalité va lancer un concours pour un projet de réaménagement d’ampleur des abords de la cathédrale » Notre-Dame de Paris et prévoit d’aménager de nouveaux logements pour y faire revenir les habitants. Parisien vivant dans ce quartier, trouvez-vous qu’il faille réaménager l’île de la Cité et les abords de la cathédrale, il est vrai très touristiques et désertés par la population parisienne? On dirait que la municipalité s’évertue à mettre en oeuvre une partie du projet Belaval-Perrault, lancé par François Hollande et théoriquement suspendu : un réaménagement de la Cité et du parvis Notre-Dame mêlant tourisme de masse, boutiques branchées, «incubateur de start-up », dalle transparente, arrivée par bateaux et même logements sociaux pour le personnel médical (c’est le bon côté). La rénovation du ravissant marché aux Fleurs est annoncée. Après avoir laissé les pavillons se dégrader sous les tags, la ville lance un concours d’architecture dont on peut craindre le pire en se rappelant qu’Anne Hidalgo regrettait, lors d’une visite, « le manque d’animation » de cette oasis à l’ombre des paulownias… où certains rêvent de fooding et d’activités branchées. On voit se dessiner un axe touristique et commercial entre ce marché, l’Hôtel Dieu, partiellement privatisé (sa plus belle partie donnant sur Notre-Dame), et le parvis de la cathédrale. De son côté l’AP-HP multiplie depuis des années les opérations immobilières, on l’a vu à Laennec et ailleurs. Ainsi, tout en privatisant une partie de l’Hôtel-Dieu, elle souhaite construire de nouveaux bâtiments dans les cours, au détriment de l’équilibre architectural du bâtiment perché sur la Seine (un projet dénoncé par la commission du Vieux Paris). Ce chantier va densifier le seul quartier réellement habité dans l’est de l’île, avec sa population, ses ateliers de la RATP, ses services de motards ou du clergé. Ces cours devraient être conservées comme des jardins si l’on voulait vraiment être « vert » et « citoyen ». Mais il semble que l’espace et la verdure soient réservés aux touristes, de l’autre côté de l’hôpital. Les habitants, trop peu nombreux pour être entendus (mais regroupés au sein d’une association pour la défense du site), n’ont qu’à s’adapter… comme ils le font depuis le cauchemar qui les a frappés voici deux ans lors de l’incendie de la cathédrale, puis au gré de chantiers dont les enjeux les dépassent!

* Benoît Duteurtre est notamment l’auteur des «Dents de la maire » (Fayard, 2020), salué par la critique. Le romancier vient de publier « Ma vie extraordinaire », (Gallimard, 336 p., 20 €).

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