« L’écriture exclusive » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1253 du 19 au 25 mars 2021

Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE

L’ÉCRITURE EXCLUSIVE

Quand je reçois un document de l’administration ou d’un organisme public recourant, si peu que ce soit, à l’écriture inclusive, je le retourne à l’expéditeur en précisant: « Merci de m’écrire en français. » Ce fut encore le cas, récemment, pour une lettre d’information de la mairie. La mention, sur l’enveloppe, de la « Direction de la Démocratie, des Citoyen.n.es et des Territoires » m’a suffi pour renvoyer la lettre sans l’ouvrir. Je sais que mon geste ne provoquera ni changement ni justification de ceux qui emploient ce sabir barbare contre les usages de notre belle langue. Du moins avais-je apprécié qu’Édouard Philippe, alors Premier ministre, ait eu le courage de bannir cette graphie des documents officiels… Mesure insuffisante pour empêcher des fonctionnaires militants de l’imposer dans certains services, certaines universités, voire au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris! Quant à moi, je serais partisan – une fois n’est pas coutume-d’interdire purement et simplement cet usage dans la sphère publique, scolaire, entrepreneuriale. Car l’écriture prétendument « inclusive » témoigne en réalité d’un grand mépris pour les Français et francophones qui, partout dans le monde, ont en commun une langue forgée par les siècles, avec ses conventions et ses traditions visant la clarté de l’expression. Elle lui substitue une mécanique bizarre, sans principes rigoureux, compliquant inutilement la phrase.

Pis encore, cette écriture insensée peut se lire… mais pas se dire à voix haute, avec ses points et ses tirets! Détachée de la parole, elle exclut beaucoup plus qu’elle n’inclut, à seule fin d’entretenir une illusion d’égalité par le graphisme. Hantés dans leurs cauchemars par le fameux « le masculin l’emporte sur le féminin », ses promoteurs ignorent la beauté particulière du « neutre » français, inclus dans le masculin, qui tend à élever certaines activités ou fonctions. La grande musicienne Germaine Tailleferre aimait ainsi se dire « compositeur » plutôt que « compositrice », trop réducteur à ses yeux parce qu’il n’y avait, selon elle, qu’un seul et même genre chez les artistes ! Ces règles n’ont toutefois jamais empêché les idées d’évoluer, ni les femmes de conquérir leurs droits, ni leurs justes revendications de s’exprimer à travers cette langue, ni celle-ci de se transformer progressivement et naturellement. Aujourd’hui, on prétend la bousculer artificiellement pour promouvoir une cause déjà gagnée dans les esprits et en grande partie dans les faits. C’est inutile mais caractéristique d’une époque où les luttes révolutionnaires, délaissant maints enjeux économiques et sociaux, se sont polarisées sur les moindres particularismes du champ « sociétal »: le genre, le sexe, le poids, la couleur de peau, et à présent notre langue qui doit elle-même faire les frais de ce combat politique. Il faudrait d’ailleurs, selon cette logique, une fois l’écriture inclusive établie, envisager d’autres réformes pour rendre notre langue moins blanche, moins hétérosexuelle, ou que sais-je encore !

Si les militants jouent sur la fibre égalitariste pour imposer leur écriture tarabiscotée, il faut pointer aussi la responsabilité de ceux qui, plus nonchalamment, multiplient les mauvais usages dans une perspective électoraliste. Ce fut ainsi un cauchemar d’entendre, dès ses débuts, le candidat Macron se croire obligé, à chaque phrase, de distinguer le masculin et le féminin, les citoyennes et les citoyens, les électeurs et les électrices… comme si nous ne comprenions pas qu’en s’adressant aux citoyens, on s’adresse aux femmes comme aux hommes. Il est élégant de rappeler cette nuance de temps à autre, ce que faisaient déjà les politiciens d’autrefois en entonnant « Françaises, Français »; mais y sacrifier dix fois par minute est un alourdissement inutile, faisant le lit d’autres complications… Sous prétexte de progrès, c’est une régression vers un langage enfantin et une sorte de patois séparant la République française de la langue française pratique et universelle. On en oublierait presque que celle-ci s’étend à travers le monde avec des centaines de millions de locuteurs. Ils n’ont aucun besoin des furieux doctrinaires qui, au nom de leurs obsessions, manipulent notre façon de nous exprimer et notre capacité même de dialoguer.


 

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Une réflexion sur “« L’écriture exclusive » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1253 du 19 au 25 mars 2021”

  1. Il y a plus grave; un nombre non négligeable de techniciens, dans les fins fond de nos campagnes, mais aussi dans certains sous sols de la capitale, parlent encore un jargon abject, avec des « prises mâles » et « prises femelles », que je propose de requalifier: intrusives et réceptives, pour ne pas perdre de vue la nocivité mâle, qui n’échappe plus à personne de nos jours, mais aussi pour souligner le caractère positif du pôle féminin. Espérons que l’Anne de l’Hotel de ville, pressentie pour l’Elysée, en tienne compte dans son programme pestilentiel, et applique cette mesure de bon sens, dans ses 100 premiers jours de mandat (si par malheur rien n’était fait pour nous éviter une telle catastrophe, malgré les alertes à répétition de Benoît)

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