Paris meurt-il ? Par Marion Messina pour « Les Dents de la maire » de Benoît Duteurtre dans Marianne n°1196 du 14 au 20 février 2020

AGORA Lecture

PARIS MEURT-IL?

Dans “les Dents de la maire », notre collaborateur Benoît Duteurtre décrit la difficulté de vivre aujourd’hui à Paris.
PAR MARION MESSINA

 

Benoît Duteurtre aime flâner, se poser sur un banc pour lire, parcourir les échoppes des bouquinistes, errer dans les rues de la capitale et se laisser guider par le hasard – la dérive urbaine chère aux situationnistes. Amoureux de Paris, il aime ce qui en a fait pendant longtemps une cité d’exception où les artistes, le petit peuple, les intellectuels cohabitaient dans un décor moderne et aéré. Il habite en plein centre, à quelques pas de la fraîchement mutilée Notre-Dame. Tout semble idyllique, sauf que Paris est en train de perdre son âme.

Disneylandisation
Les magasins franchisés, les chanteurs barbus de folk bredouillée en anglais sur guitare sèche, le tourisme de masse, l’obsession sécuritaire et la disneylandisation de la ville sont en train de la rendre invivable aux yeux de ses habitants. Pas étonnant d’ailleurs que Paris les perde au fil des ans, jusqu’à devenir un décor de théâtre agencé uniquement pour les touristes et les propriétaires fortunés.

Les cauchemars de Duteurtre sont habités par un étrange fantôme à l’allure d’une séduisante sexagénaire au teint hâlé et à la longue chevelure brune: la maire, Anne Hidalgo, qui a entrepris de marquer Paris de son sceau. Place aux « mobilités douces », qui mettent fin au partage clair de l’espace entre piétons et automobilistes et forcent les amoureux des balades à se frayer un chemin anxieux au milieu des trottinettes électriques, des skates, des rollers et des coureurs à pied. Place également aux chantiers sans fin, aux rats, à la propreté désastreuse, aux arbres (dont des espèces rares et des spécimens pluricentenaires) abattus pour laisser la place aux voies piétonnes. Exit les parcs et leurs fontaines aux clapotis reposants au nom de l’écoresponsabilité, même quand la fontaine dispose d’un circuit fermé à quelques mètres de la Seine. L’heure n’est pas à l’intelligence mais à l’action. La planète est en danger, comprenez-vous ?

Le monde change, Paris aussi! En pleine crise climatique, la maire ambitionne de se plier aux exigences du développement durable. Sus aux véhicules essence! Objectif zéro auto! Le quatre-roues-moteur est mis à mort comme un taureau dans une corrida par un procédé pervers et douloureux qui doit traîner: plutôt que l’interdire, tout est fait pour décourager les automobilistes de l’utiliser. Ce que la maire semble ignorer, c’est que bon nombre d’utilisateurs qui arrivent de la quatrième couronne pour venir travailler n’ont tout simplement pas le choix. C’est ainsi que les embouteillages, l’agressivité et l’augmentation de la pollution atmosphérique marquent le choix d’une politique du pourrissement, pourtant menée au nom du bien et de la protection de la planète, «formule pénible à force d’être rabâchée par ceux qui s’en sont désintéressés pendant si longtemps ».

Duteurtre est cependant de bonne foi et ne manque jamais de rappeler les erreurs commises par les prédécesseurs d’Hidalgo: projets non aboutis de placer un échangeur autoroutier à la place des Halles, éviction des classes populaires de la ville et gentrification, Paris est assassinée depuis près de soixante ans, mais assez lentement pour que cela passe presque inaperçu.

L’américanisation et l’ode au « progrès » de la chef actuelle portent le coup de grâce: encouragement du tourisme LGBT (« je ne savais pas non plus qu’il existait une façon LGBT de voyager », nous dit l’auteur), remplacement des kiosques et des fontaines Wallace par des créations originales, installation d’œuvres d’art contemporain – dont l’improbable bouquet de tulipes de Jeff Koons, qui semble sortir des archives photo du cabinet d’un proctologue -, toutes ces ambitions personnelles vident les caisses de la ville au détriment du patrimoine intemporel, celui-là même pourtant que le monde nous envie.

« Les Dents de la maire. Souffrances d’un piéton de Paris » de Benoît Duteurtre, Fayard, 180 p., 18 €.

BENOÎT DUTEURTRE dénonce la perte d’âme de la capitale, devenue un décor de théâtre pour touristes.

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