Et si le réchauffement climatique cédait la place à un grand rafraîchissement aux conséquences inattendues?
Christian Authier
Pour avoir dépeint depuis plus de trente ans dans des romans, des récits, des contes ou des chroniques les désastres des temps où nous sommes, Benoît Duteurtre n’a pas échappé au procès de lèse-progressisme, voire pire. Aggravant son cas, l’auteur de Tout doit disparaître et du Voyage en France (prix Médicis 2001) ose invoquer le passé sans forcément l’insulter, comme en témoigne son amour de la Belle Époque. Difficile cependant de caricaturer l’écrivain en réac ronchon ou en imprécateur apocalyptique tant son usage de l’esprit critique, du doute, de la mise en perspective lui épargne les réflexes pavloviens de l’idéologue. S’inscrivant dans une tradition très ancienne, c’est en artiste et en satiriste que Duteurtre croque ses contemporains, les conformismes, les idées folles, l’absurde se drapant dans une pseudo- rationalité.
Modernité aventureuse et ludique
Le nouveau roman de notre collaborateur illustre parfaitement son goût de la fantaisie et du contrepied. Ainsi, il imagine dans un futur proche un retour au climat tempéré en France et en Europe. Le réchauffement climatique semble bien s’estomper et faire machine arrière. L’occasion peut-être, grâce à ce retournement, de contrarier un dérèglement qui n’est pas seulement météorologique ou écologique. Place donc à un « rafraîchissement » des esprits, des cœurs, des âmes. Et si ce modèle tempéré s’étendait à la politique, la société, l’économie, les mœurs, la religion? Le Grand Rafraîchissement mêle l’inspiration fantaisiste du Retour du Général et la veine autobiographique de Duteurtre qui se confie ici à travers des carnets intimes avant de devenir un personnage du roman. Ce numéro de « passe-muraille » ne surprend pas chez le disciple de Marcel Aymé. On sourit et on rit beaucoup dans le sillage de personnages (un policier maghrébin, une bourgeoise BCBG, une magistrate en rupture de ban, un veuf mélancolique…) pris dans des situations baroques – notamment des rafles policières dans les beaux quartiers au nom de la lutte contre les discriminations – et dont les destinées vont se croiser. La variété des tons et des atmosphères participe au plaisir du lecteur. L’écrivain célèbre les bonheurs de la vie des villes et de la vie des champs, signe des pages émouvantes sur la vieillesse, épingle « l’intersectionnalité» de luttes antinomiques, pose un regard perçant sur des situations du quotidien que chacun a vécues. Il faut saluer la virtuosité de la construction comme l’audace d’une narration éclatée et cependant limpide. Au pessimisme de la raison, Benoît Duteurtre oppose l’optimisme qu’autorise l’imagination. À «une modernité théorique, conventionnelle et passablement sectaire », il préfère «la modernité véritable, découvreuse, aventureuse et ludique». Le Grand Rafraîchissement, roman à l’insolence apaisée et solaire, en est une brillante illustration.