« Réseaux et résolutions » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1295 du 7 au 12 janvier 2022

Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE

RÉSEAUX ET RÉSOLUTIONS

C’est une de mes résolutions pour 2022. Désormais, je commencerai chaque chronique en disant l’essentiel dès la première phrase. Cette nécessité m’est apparue avec la montée en puissance des réseaux sociaux, où les articles se résument à une ligne d’accroche – parfois bien choisie, mais souvent la première – qui devient le signal et le résumé sur lequel les lecteurs vont réagir, liker, commenter, approuver ou critiquer. La plupart ne liront pas le texte complet (qui est rarement en libre accès), d’où toute une gamme de malentendus dont je voudrais donner ici quelques illustrations.

Le premier danger est celui du paradoxe. Si, par exemple, j’entends ferrailler contre l’écriture inclusive et que je commence en évoquant le discours de ses adeptes : « « L’écriture inclusive est un formidable instrument pour l’égalité.” “Elle applique à la langue une éthique et façonne les esprits dans le sens du progrès. « Voilà ce que prétendent les militants désireux de nous l’imposer… » En mode réseaux sociaux, cette accroche risque de devenir: «Benoît Duteurtre: l’écriture inclusive est un formidable instrument pour l’égalité. »

Il importe également de s’interdire toute ironie. Ne pas mener un combat contre la pollution des éoliennes en écrivant: « Comme ils sont rassurants, ces moulins à vent qui utilisent le vent pour nous fournir une électricité propre! Faut-il déplorer une poignée d’oiseaux morts, un bruit lancinant et quelques flashes lumineux au cœur de la nuit ? » Reprise telle quelle, cette proposition pourrait faire de moi, en un tweet, le propagandiste d’une cause que je combats, et j’essuierais une volée de commentaires désagréables venant de mes propres alliés.
Pas question davantage d’écrire des chroniques de la vie quotidienne s’ouvrant par des considérations insignifiantes. Si d’aventure je souhaite attirer l’attention sur l’invasion de l’anglais dans les médias et que je me mets en scène, écoutant la radio chaque matin, j’aurai tendance à écrire: « Sitôt réveillé, j’allume ma chaîne favorite et prépare le café avant d’engloutir une belle tartine de pain beurré. » Il serait alors fâcheux qu’un « post » reprenne ce début sans attendre l’essentiel: ma description d’une émission matinale contaminée par les anglicismes. Sans quoi les internautes seront en droit de dire: « On se fiche, monsieur, de savoir que vous vous beurrez une tartine en préparant le café. »

La question des titres est également importante. Comme je publiais, voici quelques années, une chronique consacrée à l’obsession antirusse des pays occidentaux, j’avais cru bon de forcer le trait en titrant «Le péril russe » (sachant que mon article disait à peu près le contraire). Je m’étais alors avisé que nombre de lecteurs avaient supposé que je dénonçais réellement le supposé « péril russe » et s’en prenaient à moi sur ce thème. J’en avais déduit qu’il faut éviter les titres à double sens. Tout comme il faut se méfier des citations : j’ai vu récemment un vers de Verlaine mentionné dans un de mes romans, où il est prononcé par un personnage, repris sur plusieurs sites comme une phrase de moi-même. Et on me félicitait de cette jolie trouvaille! C’est ainsi désormais que circule souvent l’information, réduite à des titres ou à des citations inexactes, entraînant des commentaires, et des commentaires sur les commentaires, sans que presque personne remonte au texte original. Pour éviter de me trouver encore pris à ce piège, mes résolutions tiennent donc en deux préceptes:
1°) Tout dire dès la première ligne.
2°) Bannir l’humour, l’ironie, le paradoxe.
L’autre choix consisterait à m’exprimer comme je l’ai toujours fait, à m’autoriser la nuance, à dédaigner les fausses interprétations qui contaminent notre vie sociale, à miser sur le fait que certaines personnes lisent les articles entiers sans se contenter de liker des extraits. C’est improbable, mais on peut y croire, et même s’y risquer… Encore que cette proposition, en toute fin d’article, risque de rester inaperçue.

Carte blanche précédente : « France – Pologne » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1291 du 10 au 16 décembre 2021

Carte blanche suivante : « Histoire de la neige » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1297 du 20 au 26 janvier 2022

Une réflexion sur “« Réseaux et résolutions » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1295 du 7 au 12 janvier 2022”

  1. La prudence est de mise, tout peut très vite dégénérer. Un exemple pour comprendre:
    1-Titre de l’article de BD (7pages): « Nuance et binarité »
    2- Premier commentaire : BD adepte du tout et du contraire de tout, mélange tout.
    3-Commentaire du Commentaire : BD binaire et sans nuance.
    4-Commentaire du com. du com. : BD borné
    5-Com. du com. du com. du com. : BD dangereux
    6-Com. du com… (2164éme) : Plusieurs anciennes maîtresses (qu’il n’a jamais vu) dénoncent
    BD pour son indifférence violente à leur égards.
    7-Com. du com…..(32574 éme) : PPDA et DSK apportent leur soutien à BD
    8-Com du com….(5687451éme) : Une série est en tournage, Gérard D. a fait un régime pour l’occasion afin d’endosser le rôle de BD.
    Epilogue: Il s’agissait d’une rumeur, BD n’a jamais bougé de chez lui, ni écrit le moindre article intitulé « Nuance et binarité » 10 ans plus tôt, il s’agirait d’un faux rédigé sous pseudo. De toute façon, Gérard est incapable d’entamer le moindre régime.

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