« Au pilori » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1299 du 3 au 9 février 2022

Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE*

AU PILORI!

Parfois je me demande si nous vivons dans un monde censé ou en Absurdie. Lorsque j’entends, sur une grande chaîne d’information, le flash annoncer bruyamment à la une: «Le journaliste Jean-Jacques Bourdin accusé de tentative d’agression sexuelle. Il aurait essayé d’embrasser une collègue en 2013 », j’ai l’impression que quelque chose ne va plus. Que nous avons perdu le sens de la relativité. Certes, le journaliste vedette a mal agi s’il a tenté d’extorquer à une collègue ce baiser. Sauf qu’il dément et n’a pas été jugé ni condamné. Mais, surtout, j’ai le sentiment qu’une telle information ne devrait jamais, dans une société raisonnable, faire l’ouverture d’un journal d’audience nationale. Il est stupide de vouloir embrasser une personne malgré elle. Cette révélation, suivie d’une plainte huit ans plus tard, n’en demeure pas moins un fait divers minuscule susceptible d’appeler une réponse proportionnée sans qu’il soit exhibé sur la place publique. Et j’éprouve l’impression – effrayante et risible à la fois – de me trouver dans une étrange cour de récréation, soumis au tintamarre de ce baiser avorté, comme si les aventures les plus insignifiantes avaient désormais leur place dans la sphère médiatique.

Il faut pourtant m’y faire : les réalités qui me semblent absurdes se voient généralement renforcées par la suite des événements. Ainsi l’affaire Bourdin, au lieu de se dégonfler, n’a cessé d’enfler au cours des jours suivants. Invitée dans son émission « La France dans les yeux », Valérie Pécresse a cru nécessaire d’insister sur la gravité des accusations, tandis que Yannick Jadot annulait sa participation. Enfin la direction de BFM a prié l’animateur de suspendre ses activités, appliquant une implacable justice privée à des faits pourtant théoriquement prescrits par la loi. Quant à moi, la surface occupée par cette tentative de baiser m’a rappelé plusieurs affaires de la même trempe: comme cet évêque libidineux accusé d’avoir posé une main sur le postérieur d’un fonctionnaire lors d’une réception à la Mairie de Paris – scandale aussitôt assimilé par la presse à une agression sexuelle illustrant les abus de l’église. Plus récemment, on apprenait que Pierre Ménès était accusé d’avoir « touché la poitrine d’une hôtesse d’accueil au Parc des Princes lors d’un match PSG-Nantes ». Il est vrai que le journaliste sportif est accusé d’autres égarements. Mais quand même, je me demande si une main touchant un sein dans un stade mérite vraiment une telle place – sauf pour nous faire découvrir l’ignominie permanente du sexe masculin sur laquelle nous étions déjà pas mal informés. La révélation d’affaires réellement graves, de violences conjugales et de crimes sexuels justifie-t-elle que la société tout entière se transforme en entreprise de dénonciation publique, dans laquelle une presse surexcitée porte à la connaissance de chacun les méfaits les plus terribles comme les plus ridicules ? Les conséquences, elles, sont toujours désastreuses : à savoir la destruction sociale de l’accusé, totale ou partielle, provisoire ou définitive, même en l’absence de preuve, de plainte ou de jugement. Ils appellent ça de l’info, moi je trouve ça minable et j’apprécierais qu’on ne me parle plus des éventuels tripotages de Jean-Jacques Bourdin.

Évidemment, il faut prendre en compte le comportement moutonnier des journalistes en quête de scoop; sans oublier le côté fructueux pour l’Audimat du jeu de destruction des célébrités. Je m’inquiète cependant de voir cette société de « transparence » occupée, jusqu’à l’ivresse, à révéler quantité de crimes avérés ou supposés, présents ou passés, puis à éradiquer ceux qui les ont commis, sans nuance dans l’appréciation des faits, ni réelle possibilité pour eux de se défendre. Une blague malheureuse, une vanne sexiste, un propos jugé discriminatoire, un écrit douteux d’un illustre écrivain mort depuis deux siècles, un comportement déplacé : tout peut resurgir comme pièce à conviction dans un monde qui a fait de la dénonciation une vertu incontestable… quitte à la confondre parfois avec la délation. Combattre et condamner des faits répréhensibles sont une chose. Mettre au pilori les suspectés de tout et n’importe quoi est une dérive inquiétante face à laquelle il serait urgent de se calmer un peu.

* Son dernier roman, Dénoncez-vous les uns les autres, vient de sortir chez Fayard.

Carte blanche précédente : « Histoire de la neige » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1297 du 20 au 26 janvier 2022

Carte blanche suivante : « Sans papiers » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1301 du 17 au 23 février 2022

Une réflexion sur “« Au pilori » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1299 du 3 au 9 février 2022”

  1. Monsieur Benoît D., n’aggravez pas votre cas. Je note que vous vous répandez sur le dossier Bourdin sans le connaître. Ainsi de mon coté je peux affirmer selon des sources sûres que Monsieur Bourdin ne s’est pas contenté de rouler une pelle à sa collègue ce jour d’été 2013 où elle ne portait pas de culotte sous sa minijupe transparente, non le problème c’est qu’il était mal peigné ce jour là, les témoins sont formels, ce qui fait la différence me semble t-il, tout étant dans les détails.
    Il est évident que Valérie Pécresse n’avait pas cette information au moment voulu sinon elle aurait annulé sa participation à l’émission Bourdinesque que de son coté Jadot en écologiste conséquent a évité, faisant là ce qui restera dans l’histoire son geste le plus notoire pour sauver la planète et l’avenir de l’humanité qui passe par la déconstruction mâle, chère à ses collègues féminines qui ont déjà déconstruit depuis longtemps ce qui leur sert de mari, nous montrant ainsi la voix à suivre.
    Nous comptons tous sur BFM TV pour nous accompagner au plus vite dans cette aventure en éclairant les téléspectateurs. Virer Bourdin est le premier symbole de cette entreprise, rien n’étant plus déplaisant à l’antenne pour les femmes qu’un animateur mal coiffé. Par ailleurs, qu’il présente son journal sans pantalon, nu sous le bureau comme le faisait PPDA, ne pose aucun problème à partir du moment où l’on ne voit rien à l’antenne, surtout si c’est à la demande des filles stagiaires du plateau télé comme cela arrive fréquemment m’a t’on rapporté.

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