Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE
VOYAGE À PRAGUE
J’aurais dû refuser, comme d’habitude ! L’Institut français est certes fort aimable de m’avoir invité, avec le concours de mon éditeur tchèque, au Salon du livre de Prague. Mais je m’étais promis de ne plus jamais prendre l’avion afin d’échapper à certains cauchemars : les aéroports bondés, le tourisme de masse, les contrôles tous azimuts… Sauf que j’ai accepté. Si bien que, déjà, les tourments ont commencé à s’accumuler trois jours avant le départ: des courriels d’Air France en anglais (Air France s’adressant en anglais à un Français, j’étais fou de rage!), des formulaires à remplir sur le Covid, l’obligation de m’enregistrer moi-même en ligne par le biais d’un lien qui ne marchait pas – sans oublier quelques conseils alarmistes (« avec les mesures sanitaires, sois à l’aéroport au moins deux heures avant le départ »). Décidément, le voyage est devenu une chose trop pénible pour un tempérament épris de douceur comme le mien. Et, je me le jurais du moins, ce serait là mon dernier vol.
Tout allait donc au plus mal quand j’ai quitté mon appartement parisien avec beaucoup d’avance et une réserve de courage pour accomplir ce chemin de croix. Mais tout s’est déroulé à l’inverse de ce que j’avais prévu. Sous un ciel radieux de début d’automne, l’autoroute du Nord était fluide et l’aérogare 2F quasi vide. Quand bien même beaucoup de guichets avaient disparu au profit de points d’enregistrement automatisés, les quelques employés d’Air France présents sur place se pressaient pour demander si on avait besoin de quelque chose. Les contrôles se sont effectués en un instant, sans que j’aie à ôter mes chaussures et en pouvant garder ma bouteille d’eau. Agacé par l’inévitable enseigne Starbucks, j’ai trouvé plus loin un agréable bistrot où j’ai mangé au comptoir en bavardant avec la serveuse, apparemment ravie de voir revenir les clients après dix-huit mois de fermeture des frontières. L’Airbus était bondé, quand même, car les compagnies ont progressé dans la gestion des flux depuis l’époque bénie où, partant pour New York, je pouvais m’allonger sur des rangées entièrement vides. N’importe. Quand le moteur s’est mis à bourdonner, j’ai retrouvé soudain le goût du voyage: ce plaisir qu’on éprouve quand l’avion s’élève et qu’on flotte, hors du temps de la surface, pour atterrir plus loin, dans un autre monde.
C’est à Prague, toutefois, que le miracle s’est vraiment précisé. Le temps précovidien de l’industrie touristique y a certes laissé des traces ineffaçables, comme l’absolue prédominance du globish, devenu langue unique et obligatoire; ou encore ces musiques électro qui tournent en boucle dans les bars d’hôtel pour distraire des hipsters transnationaux (venu participer à un hommage à Kundera, je songeais aux passages de ses romans où il parle de cette permanente agression sonore). Pour le reste, je n’avais jamais vu la ville aussi paisible et magnifique dans la lumière rose du soir. Sur le pont Charles, j’ai flâné dans le jaillissement de statues baroques, parmi quelques Praguois qui passaient là comme s’ils y vivaient, tout simplement. L’esplanade du château était presque déserte et, dans les rues de Malá Strana, beaucoup de boutiques de souvenirs étaient fermées, les autres semblant retrouver une vie normale et locale, agrémentée par quelques poignées de voyageurs des quatre coins de l’Europe. Jamais je n’avais pu ainsi contempler le vieux Prague, la ville remplaçant le bazar à touristes. C’est un peu pareil ces derniers temps, à Paris. Le Louvre et la Sainte-Chapelle s’offrant sans files d’attente moutonnières. À Venise, le Rialto retrouvant son allure de vieux pont. Ce satané Covid, malgré tous ses défauts, a rendu leur beauté aux quartiers défigurés par l’industrie touristique. Ça ne va pas durer; il faut profiter de ce moment de grâce; cet attrait rénové de lieux hier infréquentables les rendra bientôt à nouveau repoussants, des aéroports engorgés jusqu’aux centres urbains aux allures de Disneyland. Tout va recommencer. Mais Prague était irrésistible, en ce mois de septembre, pour ma première sortie après un an et demi de pandémie.
Carte blanche précédente :« Music-Hall au Panthéon » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1277 du 3 au 9 septembre 2021
Article bien méprisant pour les touristes qui vont »engorger » les aéroports! Ce monsieur ne réalise pas qu’il rentre dans la même catégorie, mais bien sûr, il est au dessus de la plèbe touristique ! Et, bien sûr, il ne se pose pas la question de l’impact climatique de son vol!!!
Le problème est plus complexe. Benoît, tout sauf un touriste, est un ambassadeur des lettres, il est de ceux qui participent au rapprochement et au partenariat des deux capitales qui fait qu’un jour peut-être une piste cyclable reliera Paris à Prague, inaugurée par Anne hidalgo et Sandrine Rousseau en tandem, ou en déambulateur si les délais s’allongent.
Il semblerait que le récent clivage souverainiste-non souverainiste remplaçant l’ancien droite-gauche soit déjà entrain de se faire griller la politesse par le petit dernier qui émerge sous nos yeux: croissant-décroissant. Toutes ces appellations n’étant que le cache sexe du même qui persiste depuis la nuit des temps: riche-pauvre. Cependant les gilets jaunes ont déjà goûté depuis un certain temps aux joies de la décroissance sans attendre les lumières de Sandrine qui propose l’augmentation du prix de l’essence, carburant du pauvre, à l’origine des gilets jaunes. C’est pourquoi il est absurde et contre productif de prendre pour bouc émissaire des personnalités aussi rares et talentueuses que Benoît qui sont les premières à nous éclairer sur tout ces paradoxes (entre autres dans son excellent roman « la Rebelle » 2004) dans cet océan d’uniformité fait de faux clivages, souvent au détriment des mêmes que certains pensent défendre sans s’apercevoir qu’ils les confortent dans leur statut.