« Le modèle américain » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1239 du 11 au 17 Décembre 2020

Carte blanche

LE MODÈLE AMÉRICAIN

PAR BENOÎT DUTEURTRE

Le président Biden annonce le retour d’une Amérique « prête à guider le monde » et chacun semble ravi… ou presque. Car, malgré mon amour des États-Unis, je n’ai jamais vu cette nation comme chargée d’éclairer l’humanité. Qu’elle ait pu lui apporter d’admirables contributions – comme ici même en 1944 – est une chose. Quant à représenter le modèle universel, c’est une autre affaire, réglée seulement par ces légions d’américanolâtres béats qui, partout sur terre, rêvent de devenir californiens. Déjà, dans mon enfance, les yéyés semblaient pressés de balancer la chanson française pour imiter Elvis Presley. Au même moment, le très antigaulliste Jean-Jacques Servan-Schreiber publiait le Défi américain – préfigurant une génération qui, de Sarkozy à Macron, semble avoir grandi en regardant les États-Unis avec les yeux de Chimène. Les choses ont encore empiré de nos jours, où le charabia globish s’impose au détriment du français; où les universités inscrivent dans leurs « mastères » ces études de genre et de race importées d’outre-Atlantique; cependant que les médias nous ont servi, sur cette élection présidentielle, un incessant feuilleton qui dit assez le degré d’asservissement volontaire où nous sommes parvenus:comme si la France n’était qu’une succursale du Parti démocrate.

Les autorités de Washington peuvent donc compter sur un immense fan-club pour relayer leur vision. Mais faut-il rappeler sur quelle voie les États-Unis ont réellement guidé le monde depuis plusieurs décennies ? Loin de vouloir atténuer la « guerre froide », ils ont concurrencé leurs rivaux soviétiques pour l’exporter partout; puis ils ont inventé, à la fin du XXe siècle, ces vertueuses opérations militaires censées imposer le modèle démocratique en ravageant le Moyen-Orient et en faisant le lit de l’islamisme. A la moindre occasion, ils attisent les tensions aux frontières est-européennes et encouragent l’UE dans ce bellicisme… Voilà ce que fut, entre autres, le guide américain, des Bush aux Clinton, et même jusqu’à Obama, lequel eut le courage de renoncer à bombarder davantage la Syrie (quitte à froisser nos socialistes hexagonaux) mais non de remettre en question l’extraterritorialité des lois américaines. Trump n’était certes pas un guide plus recommandable. Il ne prétendait pas, du moins, jouer ce rôle et aura même calmé le jeu sur plusieurs fronts, de la Russie à la Corée, au grand dam d’une opposition qui l’approuvait seulement… lorsqu’il augmentait ses budgets militaires. Nos experts, soulagés, saluent aujourd’hui le retour de l’atlantisme-qu’on applaudit déjà de Berlin à Varsovie – où on ne pourra plus glisser une feuille de cigarette entre l’Union européenne et l’Otan.

Du même état d’esprit témoignent plusieurs récentes tribunes du New York Times, qui adore expliquer à la France comment elle doit agir, en quoi elle manque de respect pour l’islam ou pourquoi elle est structurellement raciste – le modèle américain n’étant qu’une projection sommaire de lui-même. Le grand quotidien va jusqu’à débusquer la corruption et le manque de représentation des minorités… au sein de nos jurys littéraires ! Et, quels que soient les défauts de la république des lettres, cinq mots me viennent à l’esprit : «De quoi je me mêle ? » Pourquoi les méthodes de ces vieilles associations devraient-elles s’adapter à des règles dictées par la gauche états-unienne ? Si les dames du Femina veulent siéger entre elles et les messieurs de l’Interallié entre eux, ça les regarde. S’ils refusent de comptabiliser les personnes de couleur ou les écrivains transgenres parmi leurs lauréats, ça les regarde aussi. On est libre de les écouter ou pas. Pourtant, la pression grandit, ici même, pour soumettre chaque détail de notre vie aux impératifs sociétaux brandis par ceux qui voient les États-Unis comme un guide… Ils seraient mieux avisés de prendre pour exemple ces fins esprits américains qui, dans la littérature, le cinéma ou les séries TV, jettent un regard lucide et plein d’ironie sur leur société, bien plus qu’on ne sait le faire en France: d’Oliver Stone à Michael Moore, en passant par Bret Easton Ellis ou le jubilatoire South Park, ils trouveront mille bonnes raisons d’aimer les États-Unis sans en faire un modèle et d’ouvrir un œil critique sur ce que devient la société française à suivre aveuglément ce guide supposé.

 

Carte blanche précédente : « Hommage aux brasserie » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1237 du 27 novembre au 3 décembre 2020

 

Une réflexion sur “« Le modèle américain » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1239 du 11 au 17 Décembre 2020”

  1. Nous sommes vassalisés jusqu’à l’os par les amerloques au point que tous les Français se souviennent de ce qu’ils faisaient le 11 Septembre 2001, alors qu’aucun d’entre eux ne s’en souvient le jour de la disparition du petit Gregory; résultat, l’enquête piétine. S’il s’était agi d’un petit Donald ou Jo, cela ferait longtemps que le coupable serait en deux morceaux.

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