« Parlez-moi de la pluie » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1271 du 23 au 29 juillet 2021

Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE

PARLEZ-MOI DE LA PLUIE

Autant le préciser (on ne précise jamais assez de nos jours) : mon goût pour la pluie n’inclut pas ces épouvantables inondations qui ont frappé l’Allemagne, la Belgique ou le nord-est de la France. Non, je veux simplement parler de la fraîcheur et du ciel gris qui se sont installés, au début de juillet, éveillant maintes lamentations sur un possible « été pourri ». J’avoue quant à moi une certaine sympathie pour le mauvais temps, quitte à rejoindre parfois Brassens affirmant dans l’Orage : «Le bel azur me met en rage ». Rien ne m’est plus agréable, à la montagne, que d’écouter les gouttes frapper le toit de la maison: musique très douce et apaisante quand on est à l’intérieur et qu’on se sent protégé. J’ai alors envie de me coucher avec un bon roman, où je vais me plonger en écoutant l’averse crépiter encore, avant de m’endormir un instant puis de reprendre ma lecture. Parfois, je laisse la fenêtre ouverte pour mieux entendre la pluie rafraîchir le sol, d’où s’exhale un parfum de terre et de plantes qui s’épanouiront à la prochaine éclaircie.

Et, s’il fait vraiment trop frais, c’est un plaisir d’allumer un feu dans la cheminée ou de mettre une bûche dans le fourneau pour réchauffer la maison… Du moins tant qu’il est permis de se chauffer soi-même avec le bois de la forêt sans se voir condamné pour complicité de réchauffement climatique auquel contribuent, paraît-il, les habitants des campagnes, tout comme leurs vaches et leurs rots gazeux. Aux Français de la fameuse « moitié nord », dont le nom déjà est tout un programme, j’aimerais également rappeler que pareilles intempéries furent longtemps banales et que, durant les grandes vacances de ma jeunesse, il fallait souvent franchir la Loire pour trouver un climat plus clément. Combien de mois de juillet, ici même dans les Vosges, ai-je passé en anorak et pullover, alors que le baromètre franchissait difficilement les 15°C ? Sans parler de certains mois d’août où ceux qui s’occupaient des enfants devaient déployer des trésors d’imagination pour les initier aux jeux de société ou à l’art du découpage sous un ciel désespérément bouché. C’était pareil à l’autre bout de la France, en Normandie, où l’on sortait vêtu d’un ciré pour regarder l’averse tomber sur les galets, s’essayer quelquefois à un bain sous l’ondée, et profiter comme un miracle des quelques jours où le soleil inondait généreusement la plage.

Je préfère cela, somme toute, aux mois de juillet trop chauds et trop secs que nous avons connus depuis l’an 2000 et qui me fendaient le cœur quand j’arrivais au village et voyais la fontaine déjà tarie à ce moment où normalement elle s’écoule en abondance. Les ruisseaux de montagne ressemblaient à des oueds desséchés, et les grands épicéas périssaient sur pied, tandis que des hordes de motards arpentaient la montagne comme une piste de loisir sous le cagnard (au moins, sous la pluie, ils ne peuvent pas sortir). Et les soirées trop chaudes à cause desquelles on avait fui la ville, espérant retrouver la fraîcheur à 1000 m d’altitude, n’en étaient pas plus supportables en montagne. Alors oui, sachons apprécier ces quelques semaines où le bonheur ne se conjugue pas bêtement avec le ciel bleu et la chaleur écrasante. Elles nous rappellent que la richesse des climats « tempérés »>- si du moins ils le restent encore un peu – tient dans cette palette de couleurs, de températures, d’anticyclones et de dépressions, de langueur estivale mais aussi de frimas.

Il m’a fallu quelques années pour penser ainsi tant j’étais, comme chacun, obnubilé par l’idée du «beau temps », avant d’ouvrir les yeux sur d’autres merveilles : comme ces vapeurs humides qui s’élèvent de la forêt après la pluie, ce sentiment de mystère qu’on éprouve dans la vallée bouchée par les nuages au point qu’on n’en saisit plus exactement les limites ; cette vie de la nature trempée, de ses plantes et de ses créatures; cette joie des ruisseaux et des torrents qui dégoulinent. Voilà tout ce que j’ai fini par goûter bien davantage que les 40 °C à l’ombre, la campagne desséchée et cette vague impression de fin du monde qui commence par la transformation des montagnes du nord en garrigue méditerranéenne.

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Une réflexion sur “« Parlez-moi de la pluie » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1271 du 23 au 29 juillet 2021”

  1. Les climats continentaux alternant nuages et soleil sous des températures variables, entretiennent les organismes et stimulent la créativité, d’où l’immigration toujours plus massive des peuples du Sud vers nos contrées nordiques paradisiaques qui ne devraient plus le rester longtemps à ce rythme. Il faut croire que notre créativité inclut notre final en beauté, invitant le monde entier à la fête jusqu’à épuisement des convives.

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