« Service clientèle » Carte blanche à Benoît Duteurtre dans Marianne n°1309 du 13 au 20 avril 2022

Carte blanche
PAR BENOÎT DUTEURTRE

SERVICE CLIENTÈLE

Dorénavant, quand on m’envoie un paquet, il me faut prendre ma journée. Ça commence généralement la veille – voire l’avant-veille – par un message annonçant que je vais recevoir un colis… Un peu comme si La Poste m’écrivait pour m’annoncer qu’on m’a envoyé une lettre. Mais avec elle, il suffit d’attendre que la lettre arrive dans la boîte. Tandis qu’avec ces messageries qui se sont multipliées, il me faudra rester à la maison pour signer le reçu du livreur. L’avis mentionnant une tranche horaire d’une demi-journée, je devrai au moins bloquer la matinée ou l’après-midi. Plus tard, un coup de téléphone du livreur m’annoncera qu’il arrive dans le quartier mais n’a pas le code ni l’étage (à La Poste ils disposent des informations nécessaires) et j’attendrai sur le pas de la porte pour lui éviter de s’égarer.

Ce n’est là toutefois que le meilleur des cas; car la livraison ne survient pas toujours dans la tranche horaire prévue. Je devrai alors prendre contact avec le service téléphonique de la messagerie, suivre les indications, taper des touches « étoile», enregistrer une référence à 25 chiffres, tout expliquer à un aimable téléconseiller à l’accent slovaque ou marocain… pour apprendre enfin que mon colis arrivera le lendemain (encore une journée de perdue), ou qu’il a bien été livré, comme l’atteste une signature qui n’est pas la mienne. De fait, je le retrouverai plus tard posé au-dessus des boîtes aux lettres; à moins de le retirer dans une boutique relais du quartier où s’accumulent ces colis toujours plus nombreux dans le monde du commerce en ligne… Je ne voudrais pas succomber au « c’était mieux avant », mais j’observe que les choses, au temps des PTT, paraissaient plus simples. On ne me prévenait pas mais on m’apportait mon paquet. Sinon, un simple avis dans la boîte aux lettres me permettait de le retirer au bureau le plus proche. Les facteurs ne se donnaient pas toujours la peine de monter. Les préposés n’étaient guère aimables. Les files d’attente étaient longues… Mais la procédure paraissait claire et pratique en regard de ce présent chaotique où l’on joue à cache-cache avec des messageries et des livreurs, par le biais du téléphone et de plates-formes numériques.

Voilà près de vingt ans, en 2003, j’avais publié un bref roman, Service clientèle, dans lequel je décrivais les épreuves endurées par un usager. Ayant perdu son téléphone, il essayait d’entrer en contact avec son opérateur, mais ne tombait que sur des voix robotisées et des conseillers impuissants. Je supposais naïvement que de telles complications seraient bientôt dépassées et que les entreprises, stimulées par la concurrence, allaient perfectionner leurs services. C’est le contraire qui est advenu: non seulement le chemin de croix de l’usager reste d’actualité, mais je pourrais y ajouter de nouveaux chapitres, comme le fait de devoir s’enregistrer à longueur de temps sur des platesformes, avec des identifiants et des mots de passe, pour accéder à la moindre administration… Sans parler des dysfonctionnements qui transforment votre vie en cauchemar. Récemment, dans ma maison de campagne, j’ai demandé l’installation de la fibre. Du coup, Orange a coupé mon ancienne ligne fixe sans me demander mon avis. Peu après, j’ai appris que la fibre allait attendre encore plusieurs mois, du fait de difficultés techniques imprévues. Les téléconseillers que j’ai pu joindre m’ont alors expliqué qu’il était impossible de rétablir mon ancienne ligne mais que je devrai continuer à payer le forfait mensuel, sans quoi je perdrai aussi mon numéro. Il paraît que je serai remboursé en fin de parcours, quand la fibre sera enfin installée… Sauf que le réseau est mis en place par une autre entreprise, qui, pour ma maison, semble posséder une adresse erronée. Un technicien d’Orange – rescapé des anciens PTT – m’a conseillé d’aller sur Internet pour entrer en contact avec ce sous-traitant et tenter de rétablir mes vraies coordonnées.

L’épreuve ne fait que commencer. Quand bien même j’aurais voulu croire aux vertus de la concurrence, je me prends à rêver du temps où le réseau appartenait à un seul et même opérateur public chargé de tout gérer au plus près des utilisateurs!

Lire aussi la carte blanche suivante : « La Vie en rose » par Benoît Duteurtre dans Marianne n°1311 du 27 avril au 4 mai 2022

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.