LIVRES
LE COUP DE CŒUR DE PIERRE VAVASSEUR
Le dernier des Mohicans existe.
Il s’appelle Benoît Duteurtre, habite à Paris, dans les parages de Notre-Dame et de l’île Saint-Louis. Il lui arrive de descendre en robe de chambre sur le trottoir pour inviter un musicien de rue et son ampli à aller voir ailleurs que sous ses fenêtres, ou des ouvriers à ne pas percer le sol trop tôt. Chaque samedi, dans le poste, à 11 heures, il maintient à flot sur France Musique une émission, « Étonnez-moi Benoît », qui rend hommage à l’opérette. Le reste du temps, quand il ne se retire pas en Lorraine,
dans un repaire effacé par les feuillus, les sapins et les ondulations du paysage, cet inconditionnel de Marcel Aymé, contempteur revendiqué d’Anne Hidalgo, s’adonne à l’écriture dans son appartement occupé par des Appalaches de vinyles et des Himalaya de bouquins. « Sais-tu que tout ça tiendrait dans le cloud? lui objecte un jour un neveu qui pensait l’impressionner. Tu gagnerais de la place. » Duteurtre écrit, donc. Sur tout. Certains titres sont des messages subliminaux : Tout doit disparaître, Ma belle époque, Requiem pour une avant-garde. L’auteur s’y perd rarement de vue, en saupoudrant l’ensemble de grains de sel nostalgiques. C’est particulièrement le cas dans ce récit à facettes, qui fait songer aux variations de couleur de certaines
lampes d’ambiance décoratives. Le Grand Rafraîchissement est un roman – c’est affiché sur la couverture et clairement suggéré au dos du livre – qui va nous entretenir de modification climatique. La photographie du bandeau montre toutefois une femme en maillot et bonnet de bain assise dans la neige. Et pour cause. On s’attendait au réchauffement mais c’est le contraire qui survient. Le climat fait subitement « le choix d’avancer en arrière ».. Ah non! Ne m’engueulez pas. En dévoilant ceci, je ne divulgâche rien du tout. Car ce qui vous mènera par le bout du nez dans ce livre d’abord très déroutant à la faveur d’une fiction surgie d’un scénario improbable, régulièrement interrompu par une mosaïque de lucides observations (l’impayable rendez-vous au ministère de la Culture), de portraits, de constats, de souvenirs (la période du Covid-19 envisagée sous d’imprévus moments de grâce), c’est précisément cette si maligne mécanique de dispersion. Il y a quelque chose de très voltairien chez Benoît Duteurtre. ■
« Le Grand Rafraîchissement », de Benoît Duteurtre, Gallimard, 224 p., 20 €